Jonathan Glazer

«  Je regarde des films pour m’assurer que ma pensée est vraiment originale »
 


Posté le 16.10.2023


 

Dimanche, le réalisateur britannique Jonathan Glazer a dompté sa timidité pour donner devant les spectateurs du Pathé Bellecour quelques clés de son cinéma.

Sur sa cinéphile :

J’ai vu beaucoup de films dans ma vie. J’ai bien entendu eu des périodes où je n’ai fait que ça de mes journées. Les moments où j’ai moins été scotché à un écran correspondent en général à des périodes où j’écris mes propres films. J’ai étudié des cinéastes lorsque j’étais à l’école de cinéma. Aujourd’hui encore, si je rencontre un réalisateur qui m’intrigue, j’aime me plonger dans son travail. Je ne suis bien-sûr plus comme à 25 ans, quand je dévorais tout. Je suis aujourd’hui plus pointilleux. Mais je regarde aussi des films pour m’assurer que ma pensée est vraiment originale. J’adore ne pas en savoir beaucoup sur un film lorsque je le découvre.

Sur son intérêt pour la barbarie des gens ordinaires dans The Zone of Interest :

Je me devais de faire ce film. La violence est en nous et partout dans notre monde. L’écriture du film m’a pris beaucoup de temps et dans l’intervalle, la société a évolué aussi dans sa violence. Tout ce que je montre dans le film trouve un écho chaque jour dans notre société. Je n’avais pas d’autre choix que de raconter cette histoire. Il y a deux films dans La Zone d’intérêt : celui que l’on voit et celui qu’on entend. Et lorsque les deux se mélangent, un troisième film vient heurter les spectateurs.

04-Jonathan-Glazer-Masterclass-Chassignole© Olivier Chassignole

Sur son métier de cinéaste :

Je ne me sens jamais vraiment cinéaste. J’ai simplement besoin d’exprimer des sentiments et j’ai besoin de trouver le meilleur moyen de le faire, du long métrage à l’installation artistique, en passant par le clip. Ma femme dit que mes films sont un échafaudage de mes sentiments.

Sur son grand intérêt pour le son :

J’adore la musique et lorsqu’on écoute de la musique, il n’est pas rare que des images apparaissent dans notre esprit. Pour moi, le son est une autre manière de montrer les choses. Il y a des films durant lesquels on peut fermer nos yeux et n’avoir quand bien même aucune difficulté à voir des images. On peut bâtir un monde entier avec du son. Le son peut nous aider à créer un monde réel, mais il peut aussi nous emmener dans un autre monde. L’image offre quelque chose à voir et le son peut approfondir. C’est une ressource que je n’hésite jamais à utiliser.

Sur son choix des territoires qu’il explore dans ses films, dont la forêt :

C’est, je crois, une question de sentiment, de « feeling ». J’aime qu’un territoire ait du répondant, qu’il me procure des sensations. J’aime découvrir ce qu’un lieu peut m’apporter comme territoire, et ce qu’il peut apporter à l’histoire. J’aime imaginer ces lieux comme une arène, une scène, un théâtre. Je suis anglais, mais ce n’est pas ma nationalité qui détermine le lieu où je suis amené à tourner. La forêt est aussi un territoire que j’affectionne. Cela a peut être à voir avec la vulnérabilité dans laquelle elle nous place en tant qu’être humain.

Sur sa manière de placer le spectateur à distance de l’action :

La distance, c’est quelque chose de très important pour moi. Montrer les situations sans m’en approcher me permet de nous impliquer en tant que spectateur. Mais ce n’est pas le seul moyen d’y arriver. Si je dois montrer en gros plan un visage, qui est le plus beau paysage qui existe, je veux que ce soit pour une bonne raison. C’est presque une question anthropologique.

Sur son rapport à l’intime de ses personnages :

Mes idées arrivent toujours au travers d’un sentiment. C’est le départ de tout pour moi. Et c’est quelque chose d’extrêmement intime et auquel je tiens énormément. Je tiens à rester profondément humain. J’essaye toujours d’approcher quelque chose de très humain dans tout ce que je fais. J’ai besoin de ressentir ce que je dois filmer. Ce qui m’intéresse, c’est quelles sont nos valeurs. Quelles sont celles qui nous importent. Les défauts, c’est ce qui nous rend humain. Dans Under The Skin, l’alien joué par Scarlett Johansson reconnaît en elle des sentiments. C’est ce qui va la pousser. Ce voyage vers l’humanité est à l’opposé de celui choisissent d’effectuer les personnages de La Zone d’intérêt, qui deviennent des zombies.

2023-10-15_JonathanGlazer_learener© Léa Rener


Sur le corps

J’aime communiquer les sentiments au cœur de mes œuvres au travers de la physicalité des personnages. Le corps humain m’intéresse. Je suis intéressé par l’être humain dans le cosmos. J’observe toujours comment un acteur bouge. Le corps ne ment pas, contrairement aux mots. Quand on caste quelqu’un, il faut l’avoir en tête, même pour le plus grand des acteurs. Je suis intrigué par cela. La physicalité est très importante pour moi, elle est un moyen de communication et peut dicter mes choix de réalisation.

Sur la présence importante du noir dans sa filmographie

Les idées viennent du néant, de l’absence et le noir est la couleur qui les représente le mieux. Mais ce peut être du blanc ou du rouge. Ce procédé me permet de laisser le spectateur imaginer et conceptualiser. La Zone d’intérêt commence par quatre minutes de noir et se termine par sept minutes de noir. Le noir est une manière d’inviter le spectateur à entrer dans le lieu que je vais lui proposer. Mais aussi à lui indiquer que ce qu’il va entendre sera aussi important que ce qu’il va voir. Cela lui permet de rentrer dans la première image du film en y étant déjà. Et le noir à la fin du film est une sorte de sas de décompression.

Sur son rapport au dialogue

Si je pouvais, je ferais un film sans dialogues. Arriver à raconter une histoire par l’image, c’est passionnant et cela me fascine. Pour moi il y a deux langues : celle que l’on parle et celle que l’on ne parle pas. Cela crée des barrières. J’aime l’idée qu’il y a une réalité derrière le langage. La langue est une barrière qui divise, tandis que l’image ouvre sur le monde.

Sur le thème de l’humanité, très présent dans ses films :

Je m'intéresse au cinéma comme un espace philosophique et politique. Les réalisateurs que j’admire étaient des maîtres dans ces domaines. Cela prend beaucoup de temps et de réflexion pour accomplir quelque chose qui compte pour soi. C’est quelque chose de très personnel. Si cela compte pour soi, il se peut que cela compte aussi pour d’autres. Mon job, c’est alors de communiquer ce point de vue personnel, même s’il est difficile de le faire. Cette difficulté à y parvenir fait également partie du message à transmettre.

 


 Propos recueillis par Benoit Pavan







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