Wes l'enchanteur

 


Posté le 16.10.2023


 

Le cinéphile texan a imposé son esthétique singulière et colorée. Il a transformé son cinéma en un monde millimétré qu'il arrange à sa guise.

14OCT--17H-Ouverture-Hall-LoicBENOIT© Loïc Benoit


Le souvenir est vivace : la dernière fois que j’ai croisé Wes Anderson, c’était dans la nuit du 4 au 5 février 2014, soyons aussi précis que lui, dans un wagon-lit. Pour rallier Berlin, où The Grand Budapest Hotel faisait cette année-là l’ouverture du festival, depuis Paris, désormais sa ville de résidence principale, le cinéaste, peut-être écolo mais surtout très nostalgique, avait en bonne logique choisi la voie du rail. Situation 100 % « andersonienne » : adieu le monde réel de la Gare du Nord pour le huis clos irréaliste d’un train de nuit (qui n’existe plus aujourd’hui) aux mystérieux arrêts dans des rases campagnes désertes, sans wagon-restaurant, hélas, au grand désespoir du dandy en tweed, décidément plus cosy british que yankee texan, pourtant sa véritable origine. Heureusement, il avait pris ses précautions pour un pique-nique en cabine…

La scène aurait pu être tirée d’un de ses films où les trains sont légion, sauf qu’au lieu d’un paisible intérieur nuit / compartiment décati, on aurait eu droit à un extérieur nuit / plongée sur des wagons bringuebalants, serpent métallique glissant dans la nuit, si possible des maquettes pour joindre l’artifice à l’agréable, le tout filmé légèrement en accéléré pour accroître le spectaculaire. « Ce que j'aime par-dessus tout, racontait le cinéaste, un œil sur le paysage entre chien et loup, qui aurait tout aussi bien pu être une bande déroulante, ce sont les miniatures dans les films : par exemple, les modèles réduits de trains qu'utilisait Hitchcock dans les années 1930. Les maquettes lui permettaient des figures de style que des objets en taille réelle n'auraient pas autorisées. » Une femme disparaît, classique de la période anglaise de Hitch, lui-même grand amateur de trains, était la référence assumée de The Grand Budapest Hotel.

Quinze ans plus tôt, on avait vu surgir du Texas cette étrange échalas cinéphile au cheveux raides, né en 1969, apprenti cinéaste à mille lieues du cinéma américain dominant : sa comédie pour teenagers, Rushmore (1998) ne ressemblait à aucune autre et on essayait vaguement d’en tirer les fils autobiographiques, notamment parce que le héros surdoué et francophile joué par Jason Schwartzman n’y semble pas avoir conscience de sa propre bizarrerie. Avaient suivi des histoires de famille, dont le pittoresque contribuait à la drôlerie même si au fond les rapports parents-enfants y étaient complexes et souvent mélancoliques : de La Vie aquatique à Fantastic Mr. Fox, son premier film d’animation, déjà d’après Roald Dahl, en passant par À bord du Darjeeling Limited ou Asteroid City, son dernier long-métrage, se multiplient les personnages d’enfants incompris – ou qui croient l’être –, de parents qui doutent ou après lesquels on court.

A-BORD-DU-DARJEELING-LIMITED© DR


Et progressivement, le cinéma de Wes Anderson devient de plus en plus millimétré, parfois à mi-chemin de l’art naïf ou de l’origami : « Effectivement, l'expérience de Fantastic Mr. Fox m'a beaucoup changé, racontait-il à Libération. Désormais, je pense au découpage d’un film avec des acteurs presque de la même manière que celui d'un film d'animation. Bien sûr, les mouvements des acteurs sont plus imprévisibles, ils leur appartiennent, mais le cadre dans lequel ils se déplacent est pensé au moindre détail près, tout comme pour un film d'animation. Le décor est construit par rapport au découpage prévu et souvent il n'existe pas en dehors des limites du cadre. »

Dans The Wes Anderson Collection, beau livre consacré au cinéaste, le romancier Michael Chabon (Les Mystères de Pittsburgh) compare le style andersonien aux boîtes du sculpteur surréaliste américain Joseph Cornell, collections d'objets épars soigneusement encadrés (une exposition lui fut consacrée au musée des Beaux-Arts de Lyon à l’hiver 2013–2014). « Je dois avouer qu'il y a une parenté, admettait le cinéaste. Le goût des miniatures me vient sans doute de l'enfance : je voulais être architecte, je dessinais des bâtiments, je construisais des maquettes. J'ai aussi aimé jouer aux Lego. » « On se tromperait, poursuit Michael Chabon dans l'opus déjà cité, en pensant qu'un haut degré d'artificialité est incompatible avec une émotion vraie... » Il a raison : contrairement aux idées reçues, les constructions savantes de Wes Anderson procurent une forme singulière de mélancolie joyeuse, à l’image du conte qu’il présentera au festival Lumière, La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar, occasion rare de voir sur grand écran cette pépite produite par Netflix. On jurerait presque qu’en perdant de l’épaisseur - ses films, même en prises de vues réelles, vont toujours plus loin vers la 2D -l’œuvre de Wes Anderson gagne en profondeur. Le paradoxe d’un cinéaste magicien…

 


Aurélien Ferenczi



UNE SOIRÉE AVEC WES ANDERSON

Auditorium de Lyon - Lundi 16 octobre à 19h30
Rencontre et projections :
La Merveilleuse histoire de Henry Sugar de Wes Anderson (40min)
The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson (1h39)

SÉANCES DU JOUR présentées par Wes Anderson

L’Ile aux chiens de Wes Anderson (Isle of Dogs, 2018, 1h41)
Pathé Bellecour - Lundi 16 octobre à 11h15
Rushmore de Wes Anderson (1998, 1h34)
Pathé Bellecour - Lundi 16 octobre à 14h
Pather Panchali/La Complainte du sentier de Satyajit Ray (Pather Panchali, 1955, 2h05)
Institut Lumière (Hangar) - Lundi 16 octobre à 14h45

 

 

 

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