Compte à rebours

Gary Cooper seul contre tous
 


Posté le 14.10.2024


 

Western atypique et chef-d’œuvre authentique, Le Train sifflera trois fois est-il un brûlot politique s’attaquant au maccarthysme ? Explications.

 

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Le Train sifflera trois fois de Fred Zinnemann (1952) © DR

 

C’est un western pas tout à fait comme les autres ; dans un noir et blanc presque documentaire (« Il faut que les images ressemblent à des actualités de l’époque, s’il y en avait eu… », disait son réalisateur Fred Zinnemann), la caméra cadre un homme seul, dans des gros plans qui soulignent sa fatigue et sa transpiration. Il traverse une ville devenue déserte, cherchant de l’aide pour rendre la justice ou pour mourir. High Noon (« midi pile »), son titre original, est un chef-d’œuvre de tension dramatique, de tempête sous un crâne (le motif essentiel de toute l’œuvre de son réalisateur), renforcé par un récit en temps réel, où les plans d’horloge servent d’effrayant compte à rebours.

Qui est le génie derrière Le Train sifflera trois fois ? Le scénariste Carl Foreman qui a eu l’idée de ce drame en quasi huis clos, et qui s’est aperçu qu’il ressemblait à une nouvelle de John Cunningham, dont il achète les droits. Foreman avait pris des parts dans la société de production de Stanley Kramer. Les deux hommes rêvent d’un cinéma plus réaliste que les fables d’Hollywood, pour un public à leurs yeux rendu adulte par le conflit mondial. Un credo que partage Fred Zinnemann, qui réalise sur leur proposition C’étaient des hommes, sur le sort des soldats revenus blessés du front (une nomination à l’Oscar du meilleur scénario pour Foreman).

 

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Le Train sifflera trois fois de Fred Zinnemann (1952) © DR

 

Foreman a travaillé d’arrache-pied pour rendre le scénario de son western fin juin 1951. Mais il s’est passé quelque chose peu avant le tournage : Foreman a été convoqué par la commission des activités antiaméricaines, le bras armé du maccarthysme ; dans sa tête, ce qu’il vit, la trahison des uns, la lâcheté des autres, l’impression d’être seul face à plus fort que lui, correspond à ce que vit son personnage. Il rajoute dans les dialogues, par exemple quand Gary Cooper se rend à l’église où sont réunis les notables du village. Sur son propre compte, il ne se trompe pas : Kramer essaie de le virer. Même si Foreman ne fait pas partie de la « liste des dix », que son flirt avec le communisme a été bref, le producteur ne veut pas être accusé de faire travailler des ennemis de l’Amérique. Foreman sauve sa tête parce qu’il est associé dans la société de production.

À sa sortie, le film n’échappe pas à l’hystérie anti-rouge qui gagne dans ces années-là l’Amérique, il fait débat, au moins dans la presse conservatrice ; mais cela il triomphe au box-office, numéro 3 de l’année 1952. Son succès, il le doit à Gary Cooper, oscarisé pour l’occasion, et par ailleurs peu connu pour ses opinions progressistes (qui ne l’empêcheront pas de toujours soutenir Foreman). Mais aussi à la chanson du générique Do not forsake me, oh my Darling, musique de Dimitri Tiomkin. La chanson résume littéralement l’intrigue, procédé assez rare et perdu dans la VF (Si toi aussi tu m’abandonnes).

Fred Zinnemann a toujours contesté l’interprétation consistant à faire du Train sifflera trois fois une allégorie anti-maccarthysme : « Si c’est un western subversif, alors sa subversion peut ne pas être politique, il s’agit peut-être d’une attitude inconsciente, celle de voir attaqué le mythe classique du héros de western intrépide, le surhomme toujours victorieux. » Mais son cinéma a toujours prôné la résistance contre tous les fascismes et tous les totalitarismes. Dans Le Train sifflera trois fois, la menace est souvent figurée par des plans de rails, annonçant le danger imminent. Ces plans répétés rappellent illico d’autres images, celles, terribles, des voies de chemin de fer conduisant aux camps de la mort. Oui, décidément, un western pas tout à fait comme les autres.

 

 A.F.

 

actu2024_TRAIN-SIFFLERA-3-FOIS--01Les séances :

Le Train sifflera trois fois de Fred Zinnemann (High Noon, 1952, 1h25)
Pathé Bellecour lu 14 14h30 | Cinéma St-Denis ma 15 20h30 |
Institut Lumière (Hangar)
je 17 15h30
| UGC Confluence ve 18 11h15 |
Comœdia di 20 17h

 

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