Posté le 13.10.2024
Chef-d’œuvre peu connu du tandem Powell–Pressburger, The Small Back Room est empreint d’une humanité inouïe. À l’anglaise, donc sans avoir l’air…
Heureux ceux qui vont découvrir, peut-être sans en avoir jamais entendu parler, l’un des plus beaux films du monde. À la fin des années 40, les duettistes Powell et Pressburger viennent d’achever deux chefs-d’œuvre aux couleurs flamboyantes, Le Narcisse noir et Les Chaussons rouges. Leur production suivante, The Small Back Room, déçoit le public britannique, qui a eu son lot de films de guerre (certains signés du duo) les années précédentes et cherche plutôt à tourner la page… pourtant il ne s’agit pas d’un film de guerre ordinaire.
Ce qui avait séduit Michael Powell dans le roman de Nigel Balchin, c’était effectivement une longue séquence de déminage sur une plage, un suspense quasi sans paroles, un sacré morceau de bravoure pour cinéaste méticuleux. Mais la scène vient clore la chronique singulière de la vie d’un petit groupe de scientifiques par temps de guerre. Parmi eux, un homme ultra compétent et imbuvable : il a perdu un pied, sa prothèse métallique le fait souffrir, il noie son mal dans l’alcool, en bousille sa vie et sa drôle d’histoire d’amour, qui pourrait être platonique, avec la secrétaire du service.
The Small Back Room de Michael Powell et Emeric Pressburger (1949) © DR
Avec cet antihéros peu ordinaire, on se demande quelque temps où va le film, ce qu’il raconte. Il y a une réunion grotesque et hilarante avec des sommités militaires, la visite inutile d’un ministre, bref un ton violemment satirique qui correspond bien à l’aigreur du personnage. Tout l’enjeu est là : par son engagement à découvrir les secrets d’une nouvelle arme nazie, dût–il y laisser la vie, se lézarde peu à peu sa carapace « akoiboniste ». Difficile d’imaginer cet atrabilaire (superbement joué par David Farrar) devenir un héros de l’ombre ; et pourtant ce que montre Powell, avec une douceur et une indulgence, folles, c’est que tous ces personnages ordinaires, qui font leur job, non pas sans, mais malgré leurs états d’âme, sont des héros.
Les deux personnages féminins sont magnifiques : Kathleen Dixon joue avec élégance et force la « girlfriend/nurse », elle impose sa stature, un roc, sa franchise, une chic fille sur qui on peut compter ; durant l’opération militaire sur la plage de Chesil, surgit une petite militaire, sobrement indiquée au générique comme caporal des transmissions. Sous son casque, Renée Asherson a un petit visage d’ange, et c’est peut-être bien ce qu’elle est au fond, montrant au héros que s’il peut sauver la population britannique, alors il devrait pouvoir se sauver lui-même. Modèle de retenue et d’empathie, éloge de la « common decency » chère à Orwell, The Small Back Room est de ces films rares dont on voudrait serrer les personnages dans nos bras.
A.F.
Séances
The Small Back Room de Michael Powell et Emeric Pressburger (1949, 1h48)
Lumière Terreaux di 13 14h | Institut Lumière (Villa) lu 14 19h | Institut Lumière (Villa) lu 14 19h15 | Institut Lumière (Hangar) je 17 9h