Posté le 17.10.2024
Isabelle Huppert et Claude Chabrol, c'est une collaboration artistique bien connue. Pourtant cette alliance repose sur des tréfonds à la beauté secrète, avec cette idée d’en montrer peu pour exprimer beaucoup. Avec Huppert, Chabrol a visité comme jamais la condition féminine. Ensemble ils ont fait 7 films, dont 2 comédies, de 1978 à 2006.
Sans queue ni tête de Jeanne Labrune (2010)
© Patrick Muller - Liaison Cinématographique - Samsa Films - Artemis Production / DR
« Qu’est-ce qui nous rapproche ?, s'interrogeait (pour la forme) Claude Chabrol. D’abord la même forme d’humour. Isabelle est vraiment une « marrante ». Ensuite, c’est sa vitesse : elle va très vite, elle comprend tout au quart de tour. Notre rapport a immédiatement été celui d’un oncle et d’une nièce. Je la tutoie, elle me vouvoie, c’est sa façon à elle de me témoigner du respect devant les autres. Dès les premiers plans de Violette Nozière, j’ai su que notre collaboration serait une partie de plaisir. »
De la comédienne, le cinéaste a exploré l'aspect extraverti sans limites, en arnaqueuse irréductible de Rien ne va plus, ou en juge fracassante de L’Ivresse du pouvoir. Mais c'est au cœur du drame que l'amitié intelligente Huppert-Chabrol opère à plein. Personne ne sait mieux que lui filmer le visage silencieux d'Isabelle. Ce sont les mines énigmatiques des jeunes filles (Violette Nozière, Une affaire de femmes), et des femmes (Merci pour le chocolat, Madame Bovary) que l'on pousse dans leurs derniers retranchements. Grâce au visage de la comédienne, si clair qu'il en devient insondable, Chabrol déploie une notion qui lui est chère, qu'il tient de Fritz Lang et de Georges Simenon, cette idée que tôt ou tard les êtres meurtris se défendent. Bien entendu cela se fait sans règles, sans explication, ni psychologie, ni jugement.
La Cérémonie de Claude Chabrol (1995) © MK2 - Olga Film - Prokino / DR
Isabelle Huppert est une si grande actrice qu'elle embrasse cet adage chabrolien pleinement, et se transforme en avorteuse issue d'une classe sociale pauvre dans la France de Vichy, en brindille meurtrière égarée dans la bourgeoisie du chocolat suisse, ou en épouse provinciale qui se rêvait un grand destin… N’ayant connu que la dureté voire le rejet, aucune ne recherche la compassion et encore moins la pitié, et sur le visage de la comédienne, il n’y a pratiquement ni sourires, ni pleurs. Chabrol se concentre, se rapproche de ce visage avec une durée suffisante pour qu’imperceptiblement on décèle seulement le tremblement de la commissure des lèvres, une montée de larmes qui ne jaillissent pas toujours. Ces émotions retenues, accolées à des dialogues sur une société qui condamnent les femmes retorses, composent un cinéma vibrant. Avec Chabrol, Huppert ne quête pas la sympathie, mais la nuance, l’ambivalence de chacun d’entre nous, celle qu’en général personne ne veut se reconnaître, mais qui pourtant est véritablement bouleversante et poignante, car elle nous montre défaits et nus. Chabrol va même embarquer sa comédienne fétiche dans un de ses films les plus risqués et frénétiques, La Cérémonie. Loin de tout ce qu’ils ont fait ensemble, ce film-ci propose à Huppert un rôle qu’on ne refuse pas, celui d’une femme terrible, triviale, abominable, toute en vivacité immorale et en envie sordide, pleine d’une inconscience teintée de petitesse. C’est peut-être le personnage le plus affreux, au sens noble du terme, de la filmographie de l’actrice, et évidemment l’un des plus primordiaux, car être une comédienne c’est tout incarner, vraiment, sans préjugés. En cela, Claude savait qu’il pouvait compter sur Isabelle. Ils n’avaient sans doute même pas besoin de se le dire. Le cinéaste ajoutait : « je pense qu’Isabelle s’est fabriqué sa propre œuvre au fil de ses tournages, c’est très rare chez les comédiens. Je dis souvent qu’elle me fait penser à Raimu. Ce n’est pas une phrase gratuite. Raimu s’est fabriqué une œuvre à partir de ses différents rôles. Le cas d’Isabelle est encore plus fort, car ses rôles sont très variés et elle a ainsi composé une vision très complète de la femme. »
Virginie Apiou
Master class
Rencontre avec Isabelle Huppert
Les Célestins, Théâtre de Lyon
Vendredi 18 octobre à 15h
Remise du Prix Lumière à Isabelle Huppert
Amphithéâtre – Centre de Congrès
Vendredi 18 octobre à 19h30
Séances :
Violette Nozière de Claude Chabrol (1978, 2h04, int -12ans)
Sainte-Foy-lès-Lyon je 17 20h | Institut Lumière (Villa) sa 19 10h45 | Institut Lumière (Villa) sa 19 11h | Pathé Bellecour di 20 17h