Posté le 20.10.2024
Premier pas de l’actrice, Prix Lumière 2024, à la réalisation. Une première pour laquelle elle a laissé libre cours à sa fantaisie, inspirée par un voyage en Australie…
© Sandrine Thesillat
Elle a tout faux, Nicoletta. Il n’est pas « mort le soleil ». Il s’est même mis à briller comme un maboul hier après-midi lorsqu’il a été question pour Isabelle Huppert de passer à la réalisation pour la première fois de sa carrière. En ce samedi de fin de Festival, le rituel exigeait que le Prix Lumière s'installât derrière la caméra pour diriger un nouveau remake de La Sortie des usines. À sa disposition, la foule de prestigieux figurants de toujours, réunis au Hangar du Premier Film pour écouter ses consignes. Si le cinéma est question de confiance, fidèle à son indépendance d’esprit, Isabelle Huppert a opté à l’inverse pour communiquer ses craintes ; à son corps défendant, bien sûr : « c’est l'exercice le plus difficile jamais fait de ma vie. Car j’ai une théorie : les acteurs ne doivent pas avoir d'idées ». « Les metteurs en scène non plus ! » lui a crié Claire Denis, histoire sans doute d’aider la grande timonière à se détendre.
Évidemment, Mademoiselle Huppert avait bûché son sujet. C’est le souvenir d’une scène vue au fin fond de l’Australie, « sur une petite île au large de Sydney », la nuit, dans le froid, qui a été son déclencheur. Un moment de grâce australe, « très mystérieux, d’une grande beauté, extrêmement émouvant » au cours duquel des… pingouins sortaient « un après l’autre » de la mer jusqu’à ne faire qu’un. « L’idée, c’est qu’on vous voit bien, sans regarder la caméra, mais que vous gardiez la ligne » – qui conduisait à l’axe de la caméra tenue par Gilles Porte.
Certains se sont peut-être souvenus d’une interview accordée en 2022 à Madame Figaro : « J'aime croire que les réalisateurs apprécient de travailler avec moi, car je suis comme leur petit objet ». Dans les rangs serrés du Hangar, ses « petits objets » à elle, étaient parcourus d’un léger frisson d’inquiétude, se voyant déjà marcher en canard. « On est là pour le remake de La Marche de l’empereur en fait », a ricané, bon enfant, un des figurants présents, bien connu pour sa bonne humeur. Le célèbre documentaire de Luc Jacquet donnait le beau rôle aux manchots, mais passons.
© Sandrine Thesillat
La première prise prouvait que Huppert ne suivrait que sa vision, sans s’encombrer des règles. Les premiers films des Lumière ne faisaient que 45 secondes, une minute au plus. Or, au passage d’Isabelle, dernière à franchir la porte de l’Usine, on n’était pas loin des deux minutes. « Elle a explosé le format », résumait Jean-Paul Salomé. « Isabelle fait du Chantal Ackerman, c’est intéressant ! » Pour les deux dernières prises, la réalisatrice d’un jour, mégaphone au point, priait chacun de « resserrer les rangs », « d'accélérer le pas » ; et « surtout » de garder encore et toujours « la ligne ». En premier assistant d’Isabelle, Thierry Frémaux, dissimulé derrière le muret, veillait alors au respect par chacun des consignes de la cinéaste. Après visionnage, la troisième serait « la bonne », estimait le directeur de l’Institut. « Encore que la deuxième, avec ses imprécisions, avait son charme... », Isabelle validait. Le cinéma, c’est vraiment un sport d’équipe.
C.G.