Posté le 18.10.2024
Retour sur l'histoire d'un scénario, mais également d'un tournage, profondément romanesques.
Julia de Fred Zinnemann (1977) © 20th Century Fox / DR
Parfois, une scène illumine un film, au point de le contenir tout entier : dans Julia (1977), il y a ce moment magique où Lilly, c’est Jane Fonda, retrouve enfin Julia, jouée par Vanessa Redgrave. Amies d’enfance, les deux femmes ont été séparées par la vie et l’Histoire : la première est devenue auteure à succès à Broadway, bientôt Hollywood, la seconde, en pleine « montée des périls », s’est engagée dans la résistance antifasciste et antinazie au cœur de l’Europe centrale.
Au fond d’un bar de Berlin, Vanessa Redgrave, les yeux plus bleus que bleu, fait un signe de la main à sa camarade qui vient d’entrer et je ne saurais pas dire précisément en quoi ce geste est exceptionnel, mais c’est une merveille (comme la scène toute entière qui va le suivre) : il contient à la fois la joie simple de revoir une vieille connaissance, sa part de stratagème pour éviter l’ennemi qui rôde, et aussi l’art d’embrasser son interlocutrice pour l’amener vers soi, la faire basculer loin de son univers mondain en direction de la vraie vie, bref la forcer à s’engager – la préoccupation majeure du cinéma de Zinnemann. Il faut une comédienne immense pour suggérer tout cela et, cette année-là, Vanessa Redgrave n’a pas volé son Oscar.
Lilly, c’est Lillian Hellman (1905–1984), grande dame des lettres américaines, dramaturge et scénariste renommée, rescapée du maccarthysme. Son histoire avec Julia, elle la raconte tardivement dans un récit autobiographique, Pentimento. Elle en a vendu les droits au producteur Richard Roth, qui a commandé un scénario à Alvin Sargent (remarqué pour La Barbe à Papa), convaincu Jane Fonda d’en être l’actrice principale et engagé Sydney Pollack pour réaliser le film. Quand celui-ci, débordé, quitte le projet, le bébé échoit à Fred Zinnemann, immédiatement emballé, et notamment de réinventer l’Europe de sa jeunesse. Mais les relations avec Lillian Hellman vont rendre l’affaire plus compliquée que prévu.
Celle-ci se plaint dans un premier temps qu’on ait gardé son nom et d’être au centre du film : « Il ne s'agit pas d'une œuvre de fiction et certaines lois doivent être respectées pour cette raison... Pour moi, la principale difficulté réside dans le traitement de Lillian en tant que personnage principal. La raison en est simple : quoi qu'elle fasse dans cette histoire - et je ne nie pas le danger que j'ai couru en emportant l'argent en Allemagne - mon rôle a été passif. » Plus tard, elle annonce que, contre toute attente (et contre son récit-même), la vraie Julia vit à New York que des raisons juridiques l’empêchent de dévoiler son nom…
Zinnemann s’agace rapidement de cette collaboration compliquée : « Dans son esprit, Lillian Hellman possédait la moitié de la guerre civile espagnole, tandis qu’Hemingway en possédait l'autre moitié. Elle se mettait en scène dans des situations qui n'étaient pas vraies. C'était une écrivaine extrêmement talentueuse et brillante, mais c'était un personnage bidon, je suis désolé de le dire. Mes relations avec elle étaient très réservées et se sont terminées par une haine pure. »
Quelques années plus tard, plusieurs historiens établirent que Julia n’avait jamais existé, ou qu’elle était un mix de plusieurs grandes résistantes (dont une certaine Muriel Gardiner qui, depuis le film, était obligée de répéter que non, Julia, ce n’était pas elle). Lillian Hellman continua, contre l’évidence, à soutenir qu’elle n’avait rien inventé. Le cinéaste le savait-il intuitivement ? Il y a quelque chose dans sa mise en scène de presque théorique, qui ne cesse de faire buter deux ensembles irréconciliables. La réalité et la fiction ? Qu’importe la vérité, le film est un de ses plus beaux, porté par des acteurs incandescents (Jason Robards décrocha l’Oscar du meilleur second rôle pour son interprétation de Dashiell Hammett, qui partagea la vie de Hellman). Ne surtout pas résister à l’émotion qui vous étreint.
Aurélien Ferenczi
Séances :
Julia de Fred Zinnemann (1977, 1h58)
UGC Astoria ve 18 17h15 | Institut Lumière (Villa) sa 19 17h | Institut Lumière (Villa) sa 19 17h15