Justine Triet,

la passion du cinéma des autres
 


Posté le 17.10.2024


 

La cinéaste-scénariste Justine Triet a livré les secrets de sa cinéphilie. Explication.

 

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© Jean-Luc Mège

 

L’Exorciste de William Friedkin (1973)

En faisant la sélection pour cette rencontre, j’ai réalisé à quel point mes films fondateurs étaient des films de genre. En particulier des années 70, il y a une colorimétrie singulière. Pour ce qui est de l’Exorciste, ne vous inquiétez pas, l’extrait choisi est hyper soft ! Ce que je trouve passionnant chez Friedkin c’est l’angle réaliste qu’il prend : c’est l’histoire d’une mère qui essaie de faire en sorte que sa fille aille mieux. Et puis il y a la question de la pulsion, de l’enfer de la maison, ce sont des thèmes qui me passionnent. Et le travail sur le son est incroyable : Friedkin a récupéré un son d’égorgement de cochons pour avoir des cris encore plus effrayants et réalistes.

 

Une femme sous influence de John Cassavetes (1974)

C’est un film bouleversant, sans jamais être du côté de la morale. Il n’y a pas de caricature mais il montre bien les codes avec lesquels il faut composer. Et c’est justement le rôle d’une femme qui ne peut plus faire cela. Pendant longtemps j’ai cru que ce film parlait de la folie puis j’ai réalisé que le sujet était beaucoup plus large que cela. C’est presque un film d’action où l’action est dans la maison et le thème est la maîtrise de la pulsion. Ce n’est pas seulement l’idée d’être une bonne épouse, une bonne mère mais c’est aussi l’idée de garder intact cette icône de la famille même quand tout fout le camp.

 

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© Léa Rener

 

Terreur sur la ligne réalisé par Fred Walton (1979)

C’est un film de genre qui est un peu l’ancêtre de Scream. J’ai découvert ce film grâce au cinéaste Bertrand Bonello : c’est une histoire assez simple d’une baby-sitter. Les dix premières minutes sont géniales car on est de plus en plus flippés dès que le téléphone sonne. Au bout de quinze minutes, on comprend que l’assassin est dans la maison, la baby-sitter se barricade et tout s’inverse par la mécanique du récit. La mise en scène est forte et le son génial : ces anciennes sonneries de téléphone étaient d’ailleurs insupportables mais je connais beaucoup de scénaristes qui regrettent la disparition des téléphones fixes !

 

Girlfriends de Claudia Weill (1978)

Ce film parle de choses simples : de l’amitié, de l’amour. Il montre aussi la jalousie qui peut exister entre deux amis et qui questionne sur la famille. Il parle de la passion au sein de l’amitié, ce qui est quelque chose qui est très peu montré au cinéma, surtout entre deux femmes. Cette réalisatrice n’a pas fait d’autres films et je trouvais cela chouette de vous en parler ici. Ce que je trouve beau dans la scène choisie c’est de mettre en lumière ce que sait d’être une femme et de voir cette amitié avec un vocable qui serait réservé au langage amoureux.

 

Les Choses de la vie de Claude Sautet (1970)

J’ai redécouvert ce film très tard et j’ai été sidéré, c’est presque « Antononien ». C’est une œuvre qui m’a beaucoup influencé, notamment pour le montage. C’est un film passionnant parce qu’il est éclaté, comme un puzzle. Une des choses qui me fascinent chez Sautet, c’est l’idée de la vitesse de la vie. L’idée que tu n’es jamais à la bonne vitesse dans l’existence. Je ne peux pas nier que c’est une influence énorme pour moi. La scène finale où le personnage joué par Michel Piccoli meurt dans un accident de la route est incroyable ! Sautet n’est pas démodé, sa façon de capter la vie qui nous dépasse est d’une incroyable modernité !

 

 



Propos recueillis par Laura Lépine

 

 

 

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