Alexander Payne

« Le cinéma est un miracle ! »
 


Posté le 16.10.2023


 

« Qu’est-ce qu’une masterclass, finalement ? », s’est d’emblée interrogé avec ironie le cinéaste américain Alexander Payne en préambule de sa conversation avec les spectateurs du Pathé Bellecour. Puis, durant plus d’une heure trente, l’auteur de Sideways a évoqué avec précision sa méthode de travail, et rappelé que le cinéma n’est autre que le « miroir de notre existence ».

AlexanderPayneMaster_learener© Léa Rener


Sur l’influence de sa cinéphile sur sa réalisation :

D’abord, je dois dire que j’ai eu la chance de rencontrer Pierre Rissient, Bertrand Tavernier ou encore Martin Scorsese, des gens dont la culture cinématographique écrase totalement la mienne. Il nous est tous arrivé de voler des plans de réalisateurs dont on a aimé les films, ou des scènes qui nous ont marquées. Pourquoi je m’empêcherais de les utiliser ? J’estime que toute aide extérieure est la bienvenue dans la réalisation d’un film. Ceci dit, j’ai vu beaucoup de films mais la plupart du temps, lorsqu’il s’agit de réaliser les nôtres, on se retrouve face à nous-mêmes. On est seuls.

Sur l’influence des années 1970 sur ses films :

Comme nous tous, j’ai vu des films issus du monde entier, mais j’ai été adolescent dans les années 1970 ! La culture à laquelle nous sommes exposés s’imprime en nous et nous marque à vie. J’étais cinévore, j’allais au cinéma chaque semaine, et j’ai vu des films que l’on considère aujourd’hui comme faisant partie d’un certain âge d’or du cinéma américain. Mais je ne m’en rendais absolument pas compte. A l’époque, on nous présentait ces films comme des longs métrages commerciaux. Lorsque j’ai quitté l’école de cinéma, la culture a évolué, mais moi je suis resté le même. J’ai donc commencé à faire des films très inspirés par les années 1970 et je continue à le faire.

Sur ses personnages :

Quel spectateur s’intéresse aux personnages parfaits ? Les miens sont loin de la perfection. On aime les films de gangsters, et pourtant, les personnages sont des tueurs. Ensuite, je crois que chaque réalisateur opère selon des schémas qu’ils répètent indéfiniment de façon inconsciente. Pourquoi, par exemple, Chaplin a toujours écrit sur des sdf ? Nous mettons tous de nous mêmes dans nos protagonistes. Par exemple, Tchekhov, dont je m’inspire beaucoup, a beaucoup développé, au début de sa carrière, des personnages très caricaturaux et se moquait d’eux. Plus il a vieilli, plus il a approfondi son rapport à ses personnages. Je crois qu’avec l’âge, on gagne en profondeur et on étudie mieux nos personnages. On apprend à les écrire différemment.

Sur le thème de la famille, très présent dans son cinéma :

Je ne sais pas pourquoi il est aussi présent. Cela vient probablement d’un processus très inconscient de ma part. Mais regardez tous ces films qui l’évoquent, au premier rang desquels Le Parrain… Au moment de réaliser un film, j’attache beaucoup d’importance aux lieux et j’aime avoir une approche documentaire de la fiction, et ce dès l’écriture du scénario, s’agissant d’ailleurs des émotions des personnages. Si l’intelligence artificielle pouvait me bâtir de bons scénarios, j’en serais le plus heureux !

AlexanderPayneMaster_learener622© Léa Rener


Sur son approche du milieu de la politique :

Je l’ai approché de façon très réaliste, bien-sûr, mais c’est plus son aspect social que réellement politique qui m’a intéressé. Je l’ai davantage étudié d’un point de vue humaniste et de lutte des classes. J’aime regarder comment elles s’affrontent dans ce spectre-là. Mes deux premiers films sont les plus politiques que j’ai jamais réalisés.

Sur Sideways, le film qui a changé sa carrière :

Je n’ai pas eu conscience de son succès. Je crois que j’avais tout simplement du mal à y croire. En général, un réalisateur voit plutôt le succès comme une bonne chose, car cela va lui permettre ensuite de faire d’autres films ! Mais j’avais mon côté très provincial qui me conseillait de ne pas m’emballer et de garder les pieds sur terre.

Sur sa manière d’obtenir des choses inédites de ses acteurs :

Les stars du cinéma aiment qu’on ne les voie pas seulement comme des stars de cinéma, mais aussi comme des acteurs. Je n’écris jamais un rôle pour un acteur, qu’il soit une star de cinéma ou non, mais j’invite le ou la comédienne à s’emparer du rôle, ce qui est différent. Peut-être est-ce là la bonne solution : ne pas considérer les acteurs comme des stars. Pour moi, deux choses sont très importantes : le scénario et le jeu des acteurs. Et à cet égard, un casting se doit d’être réussi. Pour Sideways, Brad Pitt, Edward Norton et George Clooney souhaitaient faire le film. Leur présence m’aurait permis d’obtenir plus d’argent pour le financer. Mais à mes yeux, ils n’étaient pas un bon choix pour le rôle ! Ce dont je suis le plus fier, c’est de diriger des anonymes, des non-acteurs. Cela prend du temps, mais c’est très amusant. Dans Nebraska, les paysans sont vraiment dans leur propre rôle. Trouver un aspect documentaire à mes films me permet de leur donner un tissu de réalité.

Sur la fin de ses films :

Il y a deux ou trois trucs à retenir pour réussir la fin d’un film. Généralement, lorsque vous butez pour conclure un film, le plus simple est de se souvenir de son amorce, et de répéter un élément. Par exemple, Sideways commence avec un personnage qui frappe à une porte et le film se termine de cette manière. Ensuite, on nous enseigne souvent dans les cours de scénario qu’il faut travailler sur la catharsis du personnage, de montrer à quel point il a changé. De mon côté, je n’y crois pas beaucoup. On ne change jamais fondamentalement !

Sur le financement des films  :

C’est toujours difficile de trouver des financements. On peut toujours critiquer les financeurs de ne plus permettre que certains types de films se fassent, mais il faut aussi blâmer les réalisateurs de ne plus les proposer. Mon nom me permet aujourd’hui d’obtenir des financements, mais seulement jusqu’à une certaine limite. Le budget de Nebraska est passé de 16 millions de dollars à 12 millions de dollars lorsque j’ai émis le souhait de le tourner en noir et blanc. S’agissant de About Smith, 16 des 32 millions de dollars de budget ont été dans la poche de Jack Nicholson ! Désormais, on me demande si j’aimerais réaliser une série. Bien-sûr que j’en serais très heureux, mais je suis un gars qui pense d’abord mon travail au cinéma !

Sur son amour du cinéma :

Je suis heureux d’être né dans un monde où le cinéma existe. Un des fonctions de l’art, c’est d’être le miroir de notre existence. Le cinéma est un miracle ! L’art le plus merveilleux que la vie nous ait donnée. La seule chose dont j’étais sûr, c’est que je voulais réaliser des comédies. Pour le reste, impossible de prédire quoi que ce soit. C’est mon instinct qui a dicté mes choix.

 


 Propos recueillis par B. P.







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