Ana Mariscal,

grande d’Espagne
 


Posté le 17.10.2023


 

Actrice archi populaire dans l’Espagne des années 40, elle fut aussi une réalisatrice pleine d’audace dont le travail est resté trop longtemps occulté.

 

Les étiquettes ont la peau dure. Ana Mariscal (1923-1995) en pâtit toute sa vie. Sa très grande faute ? Être devenue une actrice célébrissime sous la dictature de Franco. A fortiori, dans un film de propagande, suscité par le Caudillo lui- même — Raza (1941) — supposé fixer pour la postérité l’Espagne « éternelle » — catholique et unifiée — qui en 1936 avait conduit ce militaire à faire tomber par les armes le gouvernement de la République. En 1995, les quelques lignes accordées à la disparition d’Ana Mariscal dans les journaux, insistaient avec un mépris poli sur le fait qu’elle avait été « la muse de l’ancien régime ». Et guère plus.

La trajectoire artistique de cette femme puissante fut pourtant autrement nourrie et complexe, comme en attestent quatre de ses films présentés à Lyon, parmi ceux qu’elle réalisa dans les années 50-60. Une entreprise de réhabilitation rendue possible par la Filmoteca Española et le travail de restauration par son fils, David Garcia. « Je l’ai fait par attachement à l’art de ma mère, explique-t-il, mais aussi de mon père qui était son chef opérateur et le coproducteur de leurs films. Leur oeuvre la plus emblématique, Le Chemin, a connu une nouvelle vie à partir de l’intérêt manifesté par la Cinémathèque de Navarre, qui a éveillé ensuite l’intérêt d’un distributeur français (Karmafilms, NDLR), jusqu’à se retrouver à Cannes Classics en 2021. »

Née dans la moyenne bourgeoisie de Tolède, Ana Mariscal est devenue actrice dans le sillage de son frère aîné, Luis Arroyo, jeune premier à la fin des années 30. Elle enchaîne les rôles de femme fatale — à voilette et chapeau, qui confèrent à son regard un charme oblique. Fille d’un ébéniste républicain et athée, jamais Ana ne renia sa popularité acquise en cette époque de ténèbres ; et jamais personne ne l’empêcha de faire son métier comme elle l’entendait.


Mariscal-Ana
© DR


Au théâtre d’abord, en décidant de monter Yerma à Barcelone en 1947, quand plus personne n’ose plus jouer Garcia Lorca, catalogué poète républicain. Deux ans plus tôt, l’audacieuse avait fait scandale à Madrid en interprétant Don Juan dans la pièce de José Zorrilla, initiative fort mal perçue par la société si rigide de l’époque. Années 50, Ana réalise : « elle sent qu’elle peut le faire, dit David Garcia. Avec mon père, ils partagent un amour inconditionnel pour le cinéma et créent leur société de production ».

Le premier film d’Ana, surfe sur le néoréalisme italien : Segundo Lopez. Du nom du personnage principal. « Je n’ai pas pensé une seconde à la technique » écrivait Ana Mariscal. « Je me suis plus simplement demandé si je saurais exprimer ma manière de voir la vie à travers l’image... » La réponse est évidemment : oui. Et malgré l’insuccès du film, dont la distribution fut entravée par le travail de sape des autorités religieuses, Ana Mariscal remettait ça 5 ans plus tard, et réalise 11 longs métrages de genre très divers. En 2018, Mark Cousins, lui rend hommage dans Women Make Film. « Le cadre de ses films est au niveau des grands noms hollywoodiens, avec une très haute exigence dans le travail de la lumière et la composition des plans. » L’année suivante, le documentariste irlandais déposa une fleur sur sa tombe, s’étonnant d’avoir mis « autant de temps à la trouver. » Pas grave. Ana Mariscal est vivante comme jamais.

 


Carlos Gomez



SÉANCES

Segundo López d’Ana Mariscal (Segundo López, aventurero urbano, 1953, 1h20)
Lumière Terreaux - Mercredi 18 octobre à 11h
Institut Lumière (Villa) - Dimanche 22 octobre à 16h15

Con la vida hicieron fuego d’Ana Mariscal (1959, 1h17)
Lumière Terreaux - Mardi 17 octobre à 14h30 / Samedi 21 octobre à 14h

La quiniela d’Ana Mariscal (1960, 1h24)

Pathé Bellecour - Samedi 21 octobre à 19h30

Le Chemin d’Ana Mariscal (El Camino, 1964, 1h31)
Lumière Terreaux - Jeudi 19 octobre à 14h30

Pathé Bellecour - Vendredi 20 octobre à 21h45




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