Conversation

« Me désigner comme une tragi-comédienne »
 


Posté le 19.10.2024


 

Prix Lumière 2024, Isabelle Huppert est venue à la rencontre des Lyonnais à l’occasion de la traditionnelle master class du Théâtre des Célestins. Elle revient sur les temps forts de sa carrière et sur sa vision du cinéma.

 

Actu2024 Isabelle Huppert Celestin 18 Oct 2024 Jean Luc Mege Photography 2911
© Jean-Luc Mège

 

ÊTRE ACTRICE

J’aimais déjà le cinéma avant d’en faire, mais je dois avouer que j’ai vu très peu de films avant de devenir actrice… je n’en ai d’ailleurs pas vu beaucoup plus depuis. Il faudrait que je vienne plus souvent à Lyon pour faire une cure de films ! Au sujet de mon métier, je me définis plus comme actrice que comme comédienne, car le mot englobe la partie « comédie », mais pas la partie « tragédie ». Dans ce cas, il faudrait me désigner comme une « tragi-comédienne », pour être plus précis. Le cinéma, c’est de la transmission et du dialogue, non seulement avec soi-même, mais surtout avec les autres. Être acteur, c’est être au plus près de soi et dans une vérité de soi, mais on est un peu dans l’artifice aussi. Et d’une certaine manière, dans les personnages que je joue, il y a aussi une partie de moi qui reste. Donc il m’est impossible de faire une hiérarchie des rôles que j’ai joués, qui auraient été plus faciles ou difficiles.

LA LECTURE DES SCÉNARIOS

Un scénario, c’est une forme souvent ingrate pour les acteurs, car ce n’est ni un film, ni un livre, et ça ne raconte pas forcément ce qu’est un film. Parfois, je me concentre uniquement sur des dialogues, ou même sur une seule phrase, qui va me marquer et déterminer mon choix. Par exemple, dans Une affaire de femmes de Claude Chabrol (1988), mon personnage dit : « Ce n’est pas pour la grue que je viens, c’est pour le grutier. » Je trouvais cette réplique tellement bien balancée, avec tant d’humour, que ça m’a donné envie de le faire.

REVOIR SES FILMS

C’est une chose de voir les films dans lesquels j’ai joué, c’en est une autre de les revoir. C’est un peu une épreuve de les voir la première fois, car entre-temps il y a eu le montage. En revanche, c’est toujours intéressant de les revoir longtemps après. Il y a toujours un flux de souvenirs qui refait surface. Par exemple, hier au festival, j’ai revu un bout de La Porte du Paradis de Michael Cimino (1980). Rien que de réentendre la musique, c’était si puissant. Je me souviens exactement de tous les moments de tournage, même de la météo du jour… Mais pas du film lui-même. C’est très curieux !

SES RÔLES

J’ai l’impression que tous les rôles sont un peu solaires. Et c’est là qu’ils sont intéressants. Même dans les films sombres, on arrive à déceler un peu d’humour. Pour prendre un exemple extrême et inattendu, La Pianiste n’est pas vraiment une comédie, mais c’est quand même un peu drôle parfois, car j’arrive à garder une sorte de distance avec mon rôle. Dans les deux films que j’ai faits avec François Ozon (8 femmes et Mon Crime), j’incarne des personnages féminins un peu hystériques, exagérés et outrés, et c’était très amusant à jouer. Travailler avec Claire Denis était encore différent. J’ai adoré tourner White Material (2009), film extraordinaire qui montre le rapport entre l’individu et le paysage.

UN FILM QUI LUI TIENT À CŒUR

Aloïse, de Liliane de Kermadec (1975), est l’un des premiers films dans lesquels j’ai joué, et très peu de gens le connaissent ! Je l’aime beaucoup. Il correspond, d’après moi, à la définition selon laquelle tout art est brut. Delphine Seyrig, qui incarne l’héroïne (Aloïse Corbaz) à l’âge adulte, représentait beaucoup pour moi, car j’interprétais le même personnage, à un âge plus jeune. C’était une actrice et une personne formidable. On s’est croisées brièvement, et je ne l’ai pas beaucoup revue par la suite. Dans la vraie vie, Aloïse voulait avant tout être une actrice, avant de se dédier à la peinture et d’être internée. Dans le film, son personnage va dans un théâtre pour faire un essai, et dit : « Ça ne me fait pas peur une grande scène vide ». C’est une phrase qui m’a beaucoup inspirée.

 

 

Propos recueillis par Fanny Bellocq

 

 

 

Catégories : Lecture zen