Conversation

« Être acteur, c'est se comporter
comme un enfant ! »
 


Posté le 15.10.2025


 

Devant une foule de fans arrivés dès l'aube pour l'écouter, Natalie Portman est revenue sur ses débuts en tant qu'actrice, ses influences, et son travail de productrice.

 

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© Olivier Chassignole

 

Les films qui ont marqué son existence

Je n'ai pas grandi avec des films d'auteur, mais plutôt grand public et très commerciaux, comme Le Roi Lion de Roger Allers et Rob Minkoff (1994), Madame Doubtfire de Chris Colombus (1994), Dirty Dancing d'Emile Ardolino (1987)... C'est quand j'ai commencé à travailler avec des réalisateurs que je me suis intéressée aux films de grands auteurs comme Wong Kar-Wai, John Cassavetes, etc. Donc j'ai commencé à me faire un spectre de films qu'il fallait connaître et que j'aimais. Ça m'a apporté une diversité énorme, que ce soit dans le cinéma d'auteur ou de divertissement.

 

Les actrices qu'elle admire 

Il y en a beaucoup, mais là comme ça, je pourrais déjà citer Gena Rowlands dans Une femme sous influence de John Cassavetes (1974), Isabelle Huppert dans La Pianiste de Michael Haneke (2001), Julianne Moore dans Safe de Todd Haynes (2012), Nicole Kidman dans Prête à tout de Gus Van Sant (1995), ou encore Reese Witherspoon dans L'Arriviste d'Alexander Payne (2000). Je les regarde énormément et je les étudie.

 

Diane Keaton

Cette actrice a donné aux personnages féminins l'opportunité d'être aussi complexe que les personnages masculins : être drôle, intelligente, pleine d'émotions, et surtout bizarre... Elle s'est permis de le faire et a été l'une des premières. Je l'ai adorée dans Le Parrain de Francis Ford Coppola (1972), Annie Hall de Woody Allen (1977), ou encore Tout peut arriver de Nancy Meyers (2004). Elle s'intéressait toujours à tout, et avait cette « jolie bizarrerie »... On tombe amoureux d'elle à cause de cela.

 

Léon 

Ce premier film, à l'âge de 11 ans, a été une première expérience formidable. Tout le monde m'a très bien traitée sur le tournage. J'ai commencé à concevoir le métier d'actrice comme un jeu, au sens enfantin du terme. Car après tout, être acteur, c'est se comporter comme un enfant tout le temps ! J'ai pu voir comment jouaient Jean Reno et Gary Oldman, et je me suis inspirée de leur travail. Luc Besson accordait autant d'importance aux acteurs qu'à tous les autres métiers sur le plateau. Ça a été une vraie chance pour moi.

Un de mes amis acteurs m'a dit que pour réussir dans ce métier il fallait avoir deux facettes : avoir la peau dure, et en même temps être assez vulnérable pour incarner toutes les émotions du personnage... et pouvoir alterner entre les deux ! 

Léon a eu du succès en France, mais il faut rappeler que ça n'a pas du tout été le cas aux États-Unis. Ça a presque été un bide ! Pourtant, aujourd'hui, on me parle encore de ce film. Ça m'a appris à ne pas accorder trop d'attention à la réception d'un film, en tous cas à chaud. Avec le temps, on voit à quel point ça peut toucher les gens. Et il faut beaucoup de temps, pour que ça mûrisse dans les esprits. L'important, c'est le travail lui-même.

 

Heat 

C'était incroyable de jouer face à Al Pacino. J'avais 14 ans à l'époque. Tout le monde m'a inclue et m'a fait me sentir à l'aise. Mais d'un autre côté, j'étais trop jeune pour être intimidée. Al Pacino m'a beaucoup engagée pour ce rôle. Dans Heat, j'incarne sa belle-fille. Il a vraiment construit une relation proche de nos personnages, alors que pour Léon, Jean Reno a utilisé une méthode plus distante, plus concentrée, car il y a aussi une distance entre les deux personnages dans l'histoire. Chaque acteur a sa propre méthode et il faut constamment s'adapter aux personnes autour de soi.

 

Adaptabilité

J'ai beaucoup bougé dans ma vie. Une de mes professeurs m'avait indiqué avoir remarqué que les enfants qui ont beaucoup déménagé s'adaptent plus facilement. Beaucoup d'enfants acteurs étaient des enfants de soldats, comme par exemple Julianne Moore. Les enfants qui voyagent doivent s'adapter rapidement, et ça aide énormément quand pour faire ce métier.

 

Les études de psychologie

Faire des études n'a pas vraiment été un choix : je venais d'une famille très académique qui souhaitait que je fasse ce parcours scolaire linéaire. Pour moi c'était très important de faire des études, car elles m'ont permis de gagner en indépendance, d'apprendre des choses, et de faire de belles rencontres, des amis qui en sont encore aujourd'hui, donc je ne regrette rien. Quand on approche un personnage, on essaye de savoir ce qu'il pense et quels sont ses sentiments, pour pouvoir mieux l'interpréter, donc finalement c'est un peu comme un psychologue. En cela, mes études m'ont aidée. Au cinéma, il y a beaucoup de personnages qui ont des problèmes psychologiques. Ce sont parfois des narcissiques, des bipolaires, et c'est important de comprendre leur psychologie.

 

Star Wars

J'ai été très chanceuse car à l'époque du premier film, ni les réseaux sociaux, ni les appareils photos sur les téléphones n'existaient... donc j'ai pu retourner à l'école après le tournage et être un peu tranquille. Je pouvais vivre ma vie et faire la fête, sans qu'il y ait de photos sur les réseaux le lendemain !

Quand j'étais étudiante en psychologie à Harvard, tout le monde me regardait un peu bizarrement, comme pour me signifier que j'étais là un peu par hasard, grâce à mon succès d'actrice. Mais j'ai gardé les pieds sur terre en me disant que je méritais d'être là. 

Ça a été une opportunité incroyable de jouer un leader à l'âge de 16 ans. C'est même rare, en tant que femme, et ce, à n'importe quel âge. Il y a une importance culturelle énorme.

J'aime aussi l'idée de jouer dans un film destiné aux enfants... Bon, même si mes propres enfants refusent de voir ceux dans lesquels je joue (rires) ! Mais leurs amis les ont vus et les adorent ! 

Le tournage de ce film a été une toute nouvelle expérience pour moi, notamment dans ma façon de jouer. J'ai ressenti aussi cela plus tard avec les films de la saga Thor. Star Wars a été l'un des premiers films tournés entièrement en digital, donc avec des écrans bleus ou verts... C'était comme être un enfant dans une boîte en carton ! On doit imaginer ce qu'il y a à l'extérieur de nous, mais aussi à l'intérieur. C'était assez difficile. Je suis toujours très admirative envers les acteurs qui arrivent à jouer correctement dans des versions digitales comme celle-ci.

 

Aborder l'aspect technique du métier

Je n'ai jamais fait d'école de théâtre ou de cinéma, donc j'ai appris sur le tard. J'ai commencé à me plonger dans la technique quand j'ai joué dans la pièce de théâtre La Mouette d'Anton Chekhov, mise en scène par Mike Nichols. Il y avait un casting impressionnant, avec notamment Meryl Streep, Christopher Walken, ou encore Philip Seymour Hoffman. Comme il y avait des répétitions, j'ai pu voir comment ces grands acteurs se préparaient et j'ai pris des notes, et je me suis plongée dans un travail plus sérieux. C'était fascinant.

Au bout d'un certain temps, vous devez apprendre à créer votre propre technique, votre propre expérience, façon d'être. Il faut essayer et échouer, puis recommencer, encore et encore. Ça a été mon cas. J'ai essayé des méthodes différentes, et les ai changées selon les situations. Il faut aussi toujours se renseigner sur le personnage du film : par exemple s'il y a une figure historique, un métier spécifique, une expérience ou une pathologie qu'on peut explorer, etc. Et pour cela, YouTube est une ressource incroyable ! On peut tout y trouver. Ça m'a notamment aidé pour mon rôle dans Vox Lux de Brady Corbet (2019). Pour le rôle de Jackie Kennedy (dans Jackie, de Pablo Larraín, 2017), je me suis énormément informée, j'ai regardé des archives, lu des articles... Pour d'autres rôles, j'ai dû apprendre à monter à cheval, à avoir un accent spécifique... Et bien sûr le ballet pour Black Swan. C'est important de bien trouver sa propre personnalité.

J'ai eu deux professeurs très importants : Gerry Grennell, qui m'a appris à être vraiment à l'intérieur de mon corps, par des techniques de médiation et de respiration, mais aussi à utiliser mes yeux, pour mieux interpréter mon personnage, et Kim Gillingham, qui m'a fait travailler sur la connexion entre mes rêves et mes personnages, en se concentrant sur le subconscient. C'était si passionnant et ça m'a beaucoup aidée !

 

Black Swan

Bien sûr, pour les passages dansés un peu difficiles, j'avais une doublure, car malgré un entraînement intensif, on ne peut pas devenir une danseuse de ballet en un an (rires) !

Darren Aronofsky est un réalisateur extraordinaire. Il a une vision très spécifique et une confiance dans cette vision... à tel point qu'il accepte toujours les bonnes idées de chacun. Car quand on a une telle confiance, on sait reconnaître les bonnes idées, mais d'un autre côté, on reste gentil s'il faut refuser les mauvaises. Quand on prend les meilleures idées, il y a une combinaison de confiance et d'humilité. C'est ce qui définit ce réalisateur et son travail. 

Ugo Bienvenu, qui a réalisé Arco (au cinéma le 22 octobre, co-produit par Natalie Portman, ndlr) disait que quand on est réalisateur de film d'animation, on peut passer des postes de technicien à réalisateur en une semaine... C'est un vrai travail collaboratif, ce qui est moins le cas dans les autres films qui ne sont pas de l'animation. Darren Aronofsky fait figure d'exception, car avec lui, l'équipe fonctionnait vraiment comme une communauté collaborative.

 

Mike Nichols 

C'est l'un des mentors les plus généreux que j'aie rencontrés. Il a été très important pour moi, non seulement sur le plan professionnel, mais aussi dans ma vie. Je pense à lui au moins une fois par jour. Mike me parlait de l'art, de ma carrière, de mes choix, et de ma vie en tant qu'être humain. Il avait une énergie émotionnelle incroyable.

Quand il est décédé et que je suis allée à son enterrement, et il y avait probablement 15 personnes qui avaient vécu la même chose que moi avec lui. Je ne sais pas comment il a trouvé le temps pour guider tous ces gens ! Aujourd'hui, on peut dire que je commence la deuxième partie de ma carrière. J'ai envie de guider à mon tour d'autres personnes.

Je conseille d'ailleurs aux étudiants en cinéma de trouver un mentor. Surtout les femmes. Ou, si vous êtes déjà actrices depuis quelques années, soyez vous-mêmes des mentors pour les jeunes ! Aidez-les à devenir le meilleur d'eux-mêmes. Cela fait une différence énorme dans ce métier.

Sur le tournage de la série Angels in America (2003), Mike disait que la différence entre les acteurs âgés et les acteurs plus jeunes, c'est que les plus âgés sont toujours très préparés, alors que les jeunes arrivent un peu les mains dans les poches. Or, c'est très important de se préparer avant d'arriver sur un tournage. 

Enfin, Mike disait aussi : « S'il y a quelque chose de très important qui vous arrive, il faut le tuer. » Par exemple si des larmes vous montent quand vous jouez, ne les laissez pas couler !

 

Jackie Kennedy

C'était une leçon très importante pour moi je ne pensais pas incarner ce rôle. C'est arrivé pour des raisons logistiques : à l'époque, je vivais en France pour être avec mon conjoint. Je ne sortais pas beaucoup car nos enfants étaient très jeunes, et la seule opportunité que j'ai eue a été de jouer Jackie. Le tournage devait avoir lieu en France et j'ai dit « ok » sans trop réfléchir ! Après ça, j'ai réalisé ce que je venais d'accepter et j'ai commencé à paniquer. J'ai alors commencé à me renseigner énormément, à lire des livres, et surtout, à écouter la voix de Jackie Kennedy, pour m'entraîner à avoir la même. J'ai écouté des heures et des heures d'enregistrement. J'ai dû apprendre à parler exactement comme elle, avec le même rythme, les mêmes pauses, etc. A force de répéter encore et encore, ça s'est ancré non seulement dans ma tête, mais aussi dans mes os ! Je n'avais jamais fait cette expérience-là et c'était magique. 

Pablo Larraín est un réalisateur incroyable. Il arrive à créer une tension dramatique là où il n'y en a pas.

 

May December 

J'ai accepté tout de suite ce projet, et tout s'est très bien passé. C'était fluide. Julianne Moore est l'une de mes actrices préférées et cet avis s'est confirmé une fois que je l'ai rencontrée. Il était intéressant de voir comment on crée une performance dans la vie pour habiter sa propre existence.

 

Arco, Prix du meilleur film d'animation au festival d'Annecy 2025 

Il est important pour moi de produire des films parce que j'ai envie d'aider à créer et diffuser dans le monde ce qui me plaît. J'ai voulu produire celui-ci (au cinéma le 22 octobre), réalisé par Ugo Bienvenu, car j'avais envie de travailler avec Sophie Mas, une amie depuis 20 ans, et la meilleure productrice et être humain que je connaisse. Je n'aurais pas pu concrétiser ce projet sans elle. C'était une chance.

 

Petit bilan de carrière 

C'est très étrange de regarder en arrière et de voir que cela fait déjà 30 ans que je suis actrice. Ça commence à faire long (rires) ! J'ai fait plein d'expériences, rencontré plein de gens, eu des sentiments intéressants, voyagé dans de nombreux lieux... Oui, c'est une belle vie. Black Swan, Jackie, Vox Lux, May December... Dans ces films, on retrouve les mêmes façons d'être. Il y a un lien entre tous les personnages que j'ai incarnés. Mais je continue d'avancer. J'aimerais d'ailleurs retravailler avec des cinéastes, comme par exemple Rebecca Zlotowski (Planétarium, 2016), même si je pense que les rôles en langue française doivent assurés par les actrices françaises, qui font cela de la meilleure des manières. J'aimerais aussi réaliser d'autres films, mais je n'annonce rien de plus pour l'instant !

 

 

Par Fanny Bellocq

 

Catégories : Lecture zen