Isabelle

par Jean-Paul
 


Posté le 18.10.2024


 

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La Daronne de Jean-Paul Salomé (2020) © DR

 

Je ne sais pas comment « on dirige » Isabelle Huppert, je peux juste tenter de raconter le process que nous avons mis en place lors de nos deux collaborations. Tout commence par la lecture du scénario. Pas seulement les scènes où elle figure – comme le font souvent les autres acteurs, mais TOUTES les scènes. Cela peut prendre une ou deux journées. Isabelle pose des questions, elle veut être sûre d’avoir bien compris chaque intention.

La seconde phase se déroule au moment du choix des costumes, du maquillage, de la coiffure. L’apparence du personnage qu’elle va incarner à l’écran est primordiale. Elle veut pouvoir se glisser peu à peu dans cette nouvelle peau. Chaque vêtement, chaque accessoire, doit raconter quelque chose d’elle. Jusqu’aux chaussures. Très important les chaussures, ça vous façonne une démarche.

Enfin arrive le tournage. Nous avons un petit rituel : chaque matin je la rejoins dans sa loge où elle se fait maquiller. Et là, pendant dix à quinze minutes, nous passons en revue les scènes que nous allons tourner dans la journée. Elle me pose les dernières questions – les intentions, toujours être sûre des intentions ! Nous rectifions une dernière fois le dialogue s’il y a lieu. Quand elle arrive sur le plateau, tout est clair, tout est fluide. Il n’y plus qu’à faire une mise en place, à trouver les bons déplacements. Ensuite, pendant les prises, ce n’est plus qu’un travail sur le rythme. Isabelle a vraiment le sens du rythme, elle sent quand il faut accélérer, ralentir, marquer une pause. Elle est très forte pour ça. Parfois ça vient tout de suite, au bout d’une ou deux prises. D’autres fois, il faut chercher un peu plus, que son partenaire se mette aussi au diapason.

Là où je suis fasciné, c’est quand je la vois après le tournage d’un plan, continuer à se poser des questions, à rejouer ce qu’elle vient de faire. Quelques fois, je la vois insatisfaite : elle a trouvé un détail après coup, quelque chose qu’elle aurait pu faire mieux, ou différemment. Souvent j’arrive à la rassurer, à lui dire que ces nuances, la caméra les a perçues. Mais quand je vois qu’elle continue à gamberger, et alors qu’on était déjà passé au plan suivant, on retourne en arrière et on recommence - ça m’est arrivé quatre ou cinq fois sur chacun des films. Là, il faut être solide, avoir une équipe qui vous suive les yeux fermés. Souvent, elle a raison. Et surtout, je la vois heureuse, rassurée d’être allée jusqu’au bout.

Pour finir, c’est la seule comédienne avec qui j’ai travaillé qui relit entièrement le scénario chaque week-end, pour être sûre de ne rien avoir laissé aucune « miette » de son personnage de côté, quitte, au besoin, à rajouter une petite touche dans une scène à venir…

Voilà pourquoi Isabelle me fascine.

Jean-Paul Salomé

 

 Jean-Paul Salomé a dirigé Isabelle Huppert dans La Daronne et La Syndicaliste, deux comédies vraiment pas comme les autres.

Propos recueillis par Aurélien Ferenczi

Catégories : Lecture zen