Le doc du jour

Losey sans les miroirs
 


Posté le 15.10.2023


 

Un cinéaste dit sa passion pour un autre cinéaste : Dante Desarthe (Fast, Le Passe-muraille) analyse avec précision l’œuvre et le parcours de Joseph Losey, de la grande période de ses polars anglais jusqu’à l’âge « baroque » de sa collaboration avec Harold Pinter.

 

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Joseph Losey l'outsider
, 2023


Votre film commence par des archives étonnantes…

Ce sont les rushes d’une interview de Joseph Losey réalisée en 1968 par Bertrand Tavernier et André S. Labarthe pour l’émission Cinéastes de notre temps. Ils n’ont jamais été montés, j’ignore pourquoi, quoique… En fait, Losey était extrêmement déprimé parce qu'il venait d’enchaîner deux gros échecs avec Cérémonie secrète et Boom, alors qu'il espérait vraiment que ces films lui permettraient de retravailler aux États-Unis. Il était au fond du trou et s’il avait accepté de les recevoir c’était, à mon avis, par politesse. Bertrand Tavernier est très jeune, il a vingt-sept ans, il n’a pas encore fait de film, il pose des questions assez théoriques auxquelles Losey ne sait pas répondre, parce qu’il est plus dans le doute que dans les certitudes. Il joue le jeu, dans la position de celui qui cherche et pas celui qui sait. L’interview ne se passe pas très bien, mais Losey et Tavernier sont devenus proches, au point que le premier a très souvent pris des membres des équipes techniques du second quand il tournait en France. C’est pour ça que j’ai recherché l’extrait où l’on voit Tavernier recevoir au nom de Losey, absent, le César pour Monsieur Klein.


Que vous ont inspiré ces images ?

J’aime les moments d’intimité qu’on y voit et qu’avec ma monteuse, Cécile Dubois, nous avons décidé de garder : Losey boit beaucoup, on entend Tavernier dire : « vous avez du bloody mary ? », l’ambiance est joyeuse ! En 1968, Losey est à la moitié de son parcours : il a réalisé dix-sept films, il en fera encore dix-sept autres, ce qui est énorme pour quelqu’un qui a commencé à quarante ans. Je trouvais aussi ce document intéressant sur l’époque : Losey fait écouter à ses invités le disque de la comédie musicale Hair, il est tenté de l’adapter, on est au cœur d’un moment…


Quel a été votre parti pris ?

Je suis parti à la recherche d’éléments concernant la fabrication des films. Sur Joseph Losey, on est tenté par le fil biographique, à cause du maccarthysme, de son exil, etc., mais on en sait un peu moins sur la technique, sur la façon dont il travaille. J’ai essayé d’évoquer sa direction d'acteurs, son goût des plans–séquences. Des choix qui viennent sans doute de son expérience au théâtre. Michel Ciment qui témoigne dans le film m’a permis d’utiliser des enregistrements audio qu’il avait faits avec Losey, celui par exemple où il explique sa mise en scène du Messager. J'ai essayé d'éviter le ponctif des miroirs, même si j'en parle un peu…


On est frappé par la puissance du visage de Joseph Losey…

Oui, les traits creusés, burinés. Encore une fois, il buvait beaucoup… ! Pour moi, il a un visage de chef indien.

 


Propos recueillis par A. F.


 

SÉANCE

Joseph Losey l’outsider de Dante Desarthe (Documentaire, 2023, 1h)
Institut Lumière (Villa) - Dimanche 15 octobre, 16h45
En présence de Dante Desarthe

 

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