Posté le 19.10.2025
Vous n'avez pas encore réalisé de sequels. Pourquoi avez-vous souhaité donner une suite à Heat ?
Les personnages de Heat étaient extrêmement vivants dans mon esprit, dans la façon de concevoir leur histoire, je savais tout à leur sujet, au-delà des limites du film, et j'ai vraiment voulu tout construire autour d'eux, du coup j'avais plein d'histoires à raconter sur eux. J'avais même imaginé comment pouvait être le personnage incarné par Robert De Niro (Neil McMcauley) quand il avait 11 ans, de quelle manière il était devenu violent, etc. J'ai toujours voulu faire plus avec ces personnages, mais au début, je ne savais pas trop comment faire.
Et puis une idée m'est venue : parler à la fois des événements avant, et après le film. Heat 2 commence après 1995, un jour après la fin du film précédent. [SPOILER ALERT] Chris Shiherlis (Val Kilmer) est le seul personnage important qui soit encore vivant et doit fuir aux États-Unis ; puis d'un coup, on se retrouve en 1988 à Chicago et Los Angeles. On retourne donc sept ans en arrière, avec le personnage du policier, Vincent Hanna. Et on va jouer comme ça, avec des allers-retours dans le temps, histoire d'approfondir davantage l'exploration de ces personnages.
En 1988, les personnages ne sont plus les mêmes. Par exemple Vincent Hanna a une femme et une belle-fille dans le premier film, mais ensuite ce n'est plus la même chose... Je vais pouvoir explorer tout cela.
Concernant votre film Ferrari (2024), pourquoi avoir décidé de raconter la part sombre du coureur automobile ?
Je pense que je suis attiré par les personnages qui ont des contradictions violentes complexes. Je suis fasciné par leur vie, et aussi par Modène, en Italie, là où Enzo Ferrari et sa famille vivaient : c'est un lieu unique. Enzo Ferrari était quelqu'un de passionnant car c'était un génie dans son domaine, mais en même temps il était plein de ces contradictions violentes en lui-même. Il avait deux familles simultanément, et une passion pour la conduite et la vitesse. J'ai eu envie de creuser cela. Je suis très ami avec son fils, Piero Ferrari. Quand on a commencé à travailler sur le film, ce dernier m'a dit : « Je possède une valise de mon père et je ne l'ai jamais ouverte. » Alors, avec Adam Driver, on a ouvert cette valise, et dedans il y avait les journaux intimes d'Enzo Ferrari depuis les années 30 qui contenaient toute sa vie ! Pour moi c'était extrêmement important d'avoir accès à cela.
Il y a un côté à la fois mélodramatique et ironique dans la vie de Ferrari : lui-même avait déjà ce regard sur lui-même. Il a a créé des objets uniques, d'une grande beauté, et totalement nouveaux en matière de génie automobile. Il a gardé une grande poésie dans son travail, et c'est cela qui le rend si intéressant.
La course automobile était un sport extrêmement dangereux à l'époque. Enzo Ferrari a essayé de rester distant avec ses pilotes, mais il n'y arrivait pas, et c'est terrible, car de nombreux pilotes sont morts en course.
Michael Mann, discours lors de la remise du Prix Lumière 2025
© Olivier Chassignole
Vous êtes un réalisateur à l'avant-garde des technologies. Êtes-vous en train d'expérimenter l'IA et allez-vous l'utiliser pour Heat 2 ?
Je n'ai pas encore d'expérience avec cet outil, mais je vais sans doute l'utiliser à l'avenir car je le fais quand j'ai besoin de nouvelles technologies, donc pourquoi pas. Dans mon prochain film il y aura beaucoup de aging, une technique qui consiste à vieillir ou rajeunir les acteurs avec des effets numériques. Il faut trouver de nouveaux moyens de faire de l'art avec les nouvelles technologies.
On parle de plus en plus de la représentation des femmes au cinéma. Si vous deviez refaire certains de vos films, mettriez-vous plus de femmes et de dialogues entre elles ?
Pour moi, l'important est de se concentrer d'abord sur ce dont le film parle, et s'il y a réel besoin d'insérer des dialogues entre des femmes, alors j'en mets. Dans Ferrari, les personnages incarnés par Penélope Cruz et Shailene Woodley interagissent beaucoup entre eux. Elles ne se rencontrent pas, mais il y a un lien très fort entre elles. Le personnage incarné par Shailene Woodley est très engagé, tandis que celui de Penélope Cruz est plus traditionnel, mais c'est une femme puissante. Ce sont deux personnages très différents, mais j'ai quand même fait en sorte qu'elles se répondent dans le film.
Est-ce que vous questionnez et intégrez à votre travail les changements de représentation des États-Unis entre aujourd'hui et les années 1960 ?
Oui, bien sûr, je tiens compte des changements de la société et je les insère dans mon œuvre. Tout évolue dans mon cinéma par rapport à l'évolution de l'Amérique, en particulier ce qui concerne la politique économique. Par exemple, Révélations (1999) parle du changement du climat économique.
...Et les gangsters sont-ils toujours les mêmes ?
Non. Ils sont à la Silicon Valley maintenant, dans l'électronique (rires) !
Est-ce que vous avez les mêmes exigences techniques avec votre œil de « simple spectateur » ?
Pas nécessairement. Quand je rentre dans un cinéma, je suis comme un spectateur normal : j'essaye de trouver la meilleure place pour profiter de l'image et du son, et j'absorbe ce que le réalisateur veut me donner. Je suis très ouvert au travail des autres cinéastes.
Y a-t-il le travail d'un réalisateur qui vous a particulièrement impressionnée sur le plan technique ?
Je pense à celui de Chistopher Nolan : il est complètement obsédé par la réussite de chacun de ses plans, et a un niveau de contrôle extraordinaire sur ses films. Côté français, j'aime aussi le travail d'Alice Diop sur Saint Omer (2022) : ce que fait cette cinéaste me fascine. Je trouve cela complètement dingue.
Votre cinéma est connu pour être politique. Hier, lors de masterclass, vous avez constaté qu'il y avait désormais moins de manifestations dans les rues aux États-Unis . Y a-t-il encore, selon vous, de l'opposition dans votre pays ?
D'une certaine manière, oui. Je vais prendre l'exemple de la série d'animation South Park, qui est significatif de ce qui se passe aujourd'hui aux États-Unis. La Paramount, qui est passée entre les mains d'une institution très proche du pouvoir, a conclu un accord avec les créateurs de la série, pour en acquérir les droits de diffusion mondiaux. Ils ont quand même signé un contrat pour une nouvelle saison, et le premier épisode, qui est une attaque envers le gouvernement de Donald Trump, est passé, ce que j'ai trouvé incroyable. Créer une telle série est difficile, la continuer encore plus.
Bien qu'il y ait aussi une opposition plus claire envers les politiques aux États-Unis, je pense que les plus gros problèmes du monde peuvent être résolus ici, en Europe. C'est dans cette zone que le monde peut réagir.
Quel a été le film le plus compliqué à réaliser ?
Ferrari a vraiment été le plus difficile à mettre en place en raison de son coût, mais je voulais quand même le faire, et c'est finalement et Amazon Prime Video qui l'a sorti. Heat 2 est aussi un film très cher à réaliser, mais j'espère vraiment y arriver. Il sera tourné à Chicago, Los Angeles, au Paraguay et peut-être aussi à Singapour... Ce qui va entraîner un changement de studios. C'est si dur de faire un film de nos jours. Malgré tout, je tiens absolument à ce que celui-ci sorte au cinéma, et non sur une plateforme. Ce sera très certainement le cas aux États-Unis, dans au moins 4 000 salles et pendant au moins 45 jours (temps de durée moyenne pour un film aujourd'hui).
De plus, il faut savoir qu'Amazon Prime Video est en transition : ils ont vraiment envie de devenir un studio de cinéma. C'est pour cela qu'ils ont acheté les droits de James Bond, par exemple. Donc on verra comment ça se passera, car de toute façon, le film Heat 2 ne sortira pas avant deux ans. On est encore en pleines négociations, mais si tout va bien, le tournage devrait débuter l'été prochain !
Y a-t-il une œuvre de fiction qui vous a marqué, et si oui, que vous aimeriez adapter au cinéma ou en série ?
Après Heat 2, j'aimerais réaliser un film de guerre basé au Vietnam durant la guerre en 1968, avec de nombreuses perspectives différentes, notamment du point de vue des Américains et des Vietnamiens, un peu à la manière de Rashōmon d'Akira Kurosawa (1950). Le personnage de Vincent Hanna (Al Pacino) dans Heat, un ancien marine qui souffre de stress post-traumatique, était déjà très touché par la guerre. C'est un sujet qui m'intéresse beaucoup. Par ailleurs, j'aimerais bien explorer la science-fiction, en particulier des années 70-80. Je m'apprête également à produire un western, qui sera réalisé par Scott Cooper.
Fanny Bellocq