Olivier Barrot

« J'aime les gens qui n'ont pas
les mêmes convictions que nous »
 


Posté le 19.10.2025


 

Journaliste, écrivain et grand spécialiste du cinéma français, animateur emblématique de l'émission Un livre, un jour sur France 3, Olivier Barrot a reçu le Prix Raymond Chirat 2025 lors du festival Lumière. A l'occasion d'une rencontre au Village, il est venu nous parler de sa carrière, caractérisée par sa collaboration avec Raymond Chirat, mais aussi de Louis Jouvet, objet d'une rétrospective au festival, et dont il est l'auteur d'une biographie. 

 

Olivier Barrot-rdv-village
© DR

 

On vous qualifie d'abord comme un historien du cinéma, mais vous avez eu de nombreux autres métiers. Quelle est votre formation et comment vous définissez-vous en premier lieu ?

Je me vois d'abord comme un journaliste car pour moi, c'est moins une profession qu'une façon d'être. Le journalisme est un élément fédérateur. Le rapprochement avec Raymond Chirat va absolument de soi. Il y a une très grande différence d'âge entre nous, mais il a été peut-être mon ami le plus intime. Il nous a quittés il y a maintenant dix ans, mais il a nourri ce goût que j'avais pour le cinéma d'hier, le noir et blanc, le patrimoine, le souvenir, la mémoire et le passé. C'est ce goût du passé qui nous a autant réuni, mais pas seulement pour le cinéma : pour la musique et la littérature, aussi. Je commence à me dire que je me qualifierais peut-être avant tout d'écrivain, mais je n'en suis pas encore complètement convaincu (rires) !

Pour en revenir à Raymond Chirat, il m'a initié à la reconnaissance des visages. Il avait un sens du récit, du détail et de la précision tout à fait exceptionnel. C'était un orateur. C'est un vrai métier, être orateur.

Pour l'anecdote, j'ai rencontré Raymond Chirat en 1971... Ça ne date pas d'hier ! On m'avait commandé un ouvrage sur un acteur de cinéma et de théâtre, Jules Berry, complètement inconnu à l'époque. Me voici en route vers Lyon, alors que je me rendais au Festival de Cannes en deux chevaux ! J'ai alors rencontré Raymond Chirat, et c'est là qu'est née notre grande histoire d'amitié, que seule la mort a séparé. Je pensais que je connaissais un peu Jules Berry, et quand Raymond a commencé à me parler de lui, il m'a demandé combien de films avec lui j'avais vus... Sachez que Jules Berry a joué dans plus de 80 longs-métrages. A ce moment-là je ne pouvais pas mentir, surtout devant quelqu'un d'aussi savant qu'était Raymond ! Je lui ai dit : « J'ai vu trois films. » Autant vous dire qu'il a fallu du travail pour rattraper ce retard... Mais j'y suis parvenu !

 

Ensuite, comment avez-vous décidé d'écrire des livres ensemble, non seulement sur le cinéma, mais aussi sur le théâtre ?

Je pense que Raymond Chirat connaissait le théâtre français presque aussi bien que le cinéma. Il savait tout du théâtre de boulevard, mais aussi du théâtre d'avant-garde. J'étais, comme lui, passionné par l'histoire du spectacle en général. On a adoré les acteurs, non seulement les plus connus, mais aussi ceux de second plan. C'est comme ça qu'on a écrit Les Excentriques du cinéma français (1985), un livre sur les acteurs de complément, les seconds rôles. Donc ce sont toujours les acteurs qui nous ont fédéré. Je me vois encore écouter Raymond me lire des passages (car c'était aussi un lecteur exceptionnel) sur des acteurs qui sont totalement inconnus aujourd'hui. Ce premier travail commun nous a donné l'occasion d'avoir d’innombrables fous rires !

 

Comment naissaient ces livres-là : Les Excentriques du cinéma français, qui est devenu un classique, et les autres projets ?

Raymond Chirat était quelqu'un de discret, de modeste, et qui paradoxalement, doutait de la pertinence et de l'intérêt de son travail. Sur tous ces acteurs, metteurs en scène, scénaristes, ces milliers de gens, il avait des fiches Bristol, écrites à la main, qu'il avait commencé à tenir dès l'âge de 10 ans. D'ailleurs, son écriture n'a jamais changé ! Ces fiches contenaient la mémoire entière du cinéma français. Un jour, je lui ai dit : « Il faut absolument que tu partages ça ! »

Bernard Chardère fait partie de ceux qui ont convaincu Raymond Chirat de publier les génériques du cinéma français. Il a joué un rôle très important dans l'acceptation par Chirat que ces notes, prises par lui-même, qu'il conservait sans espoir que ça donne quoi que ce soit, aient vraiment de la valeur. C'est ce qu'on appelle aujourd'hui les « catalogues ». Raymond était quelqu'un qui manquait de confiance en lui. Et puis, l'évidence s'est faite que ce type-là savait tout, ou presque... En tous cas plus que les autres ! Il nous a aussi permis de faire évoluer le regard qu'on a sur le cinéma aujourd'hui. Son rôle, sa mémoire et sa personnalité demeurent.

 

A chaque projet de livre, vous le consultiez, vous lui proposiez d'être votre co-auteur ? Comment avez-vous coordonné tout cela ?

C'était très simple. Comme on était très liés, on se parlait. Quand je l'ai connu dans les années 70, il faut rappeler qu'il n'y avait pas de téléphone. A l'époque, obtenir un numéro de téléphone, c'était comme les travaux d'Hercule (rires) ! Donc on ne se téléphonait pas, on s'écrivait. De toute façon, Raymond était un homme de lettres. Donc on a eu une correspondance considérable. Un jour, un éditeur m'a fait une proposition d'un livre qui s'appelait Inoubliables ! (1986) C'était la suite de notre premier ouvrage. Là, on s'intéressait plutôt aux vedettes oubliées (Charles Boyer, par exemple), des acteurs qui n'étaient pas très faciles à voir. C'était à peine le début des VHS, mais il n'y avait bien sûr pas de DVD, et on n'avait pas accès aux collections vidéo.  On avait une méthode très simple : il venait chez moi ou j'allais chez lui, on écrivait chacun une partie du livre, en travaillant dans une pièce différente. A la fin de la journée, on se lisait ce que l'autre avait écrit. On a bien rigolé !

 

Vous aimez aussi les voyages et vous avez écrit des livres à ce sujet. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

C'est l'un des rares points de divergence que j'ai avec Raymond Chirat, car il a très peu voyagé : c'était un sédentaire. Pour moi, ça a toujours été le contraire : j'ai une envie de voyage et d'évasion depuis ma petite enfance. Mes parents avaient un planisphère sur le mur de leur appartement, et chaque pays avait sa couleur. J'étais fasciné par le nombre de pays dont je connaissais éventuellement le nom, par leur couleur, et j'avais toujours cet espèce d'appel implicite.

Il y avait des noms comme « Paraguay » qui m'attiraient particulièrement, je ne saurais expliquer pourquoi. J'ai alors décidé de faire un métier qui me permettrait de voyager : j'ai été journaliste et je me suis intéressé en particulier au grand reportage. C'est comme ça que j'ai travaillé pour Canal +, France Inter, etc. J'avais besoin d'accumuler des visions, des visages, des cultures, des langues... Tout m'attirait.

De plus, je trouve qu'il y a autant d'exotisme à Namur en Belgique, qu'en Papouasie-Nouvelle-Guinée. J'aime les gens qui n'ont pas les mêmes convictions que nous. Avec Canal+, je faisais le tour du monde une fois par semaine. J'exagère un peu... mais pas tant que ça ! Je pouvais être aux Philippines, puis le mois d'après en Finlande.

Ce qui m'a toujours attiré et le sentiment profond qui ne m'a jamais quitté : toutes les femmes et les hommes naissent et demeurent libres et égaux, quelles que soient les cultures, les différences de religion... Ça ressemble à la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, mais je suis totalement d'accord. Les hommes et les femmes ont les mêmes peurs, les mêmes inquiétudes et les mêmes enthousiasmes. Je suis convaincu que nous avons tous peur de la mort. Est-ce que la guerre est inévitable ? Mais je ne voudrais pas faire un cours de sciences politiques (rires) ! Tout ça pour dire que nous sommes les mêmes. Et l'envie d'aller voir à quoi ressemblent « les mêmes », c'est quelque chose qui ne m'a jamais quitté.

 

Comment pratiquez-vous désormais votre cinéphilie ? Continuez-vous à découvrir des films de l'histoire du cinéma ? Allez-vous en salles, ou voyez-vous des films chez vous, ou les deux ?

Je vois beaucoup moins de films qu'avant. Je ne vais plus beaucoup, voire plus du tout dans les festivals... Sauf à Lumière, bien entendu ! Mon enthousiasme personnel se tourne aujourd'hui autant vers le théâtre que vers le cinéma. J'ai fait un peu de mise en scène au théâtre et j'aime ça. J'aime les comédiens, et ce, depuis toujours.  Aujourd'hui, j'essaye de rattraper ce que j'ai manqué au cinéma, celui d'hier et d'avant-hier... Mais je vois beaucoup moins de films étrangers et récents. Je passe aussi beaucoup de temps à écrire.

 

Que dire de Louis Jouvet, en cette année où nous le célébrons ? Parlez-nous de votre livre que vous avez écrit sur lui, Salut à Louis Jouvet (2002).

Louis Jouvet est mort en 1951. Avec Raymond Chirat, on a trouvé qu'il n'y avait pas grand-chose de prévu pour sa commémoration, alors que c'était un homme de théâtre et de cinéma. On a voulu faire un livre assez court, une sorte de portrait de cet homme qui nous plaisait tellement... Jouvet a toujours mêlé le cinéma et le théâtre dans sa vie professionnelle. Avec Raymond, on a souhaité séparer le livre en deux parties pour traiter les deux arts. Mais comme on avait des pratiques, des cultures et parfois des styles qui pouvaient se confondre, parfois on ne se souvenait plus de qui avait écrit quoi. L'un de nous deux a consacré sa partie du livre entièrement au cinéma, et l'autre au théâtre. Alors qui a fait quoi ? Je vous laisse le découvrir...

 

 

Fanny Bellocq

 

 

 

Catégories : Lecture zen