Récit d'un propriétaire

Ozu rares et inédits

Dans le Tokyo de l’immédiat après-guerre, un petit garçon (Hohi Aoki) erre dans les rues. Dans ce quartier déshérité de la capitale, personne ne souhaite s’occuper du jeune sans-logis. Après tirage au sort, celui-ci est finalement confié à Tane (Choko Iida), une veuve acariâtre qui n’a jamais aimé les enfants…

 
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C’est en tant que reporter à Singapour qu'Ozu repart pour le front, en 1943. Il est missionné pour enregistrer les images d’un film de propagande, qui ne verra pas le jour. Sur place, il parvient à visionner nombre de films occidentaux dont les copies sont confisquées (Welles, Wyler, Hitchcock, Ford…), avant d’être fait prisonnier. À son retour au Japon, le studio Shochiku lui demande de tourner rapidement ; il boucle le scénario de Récit d’un propriétaire en une dizaine de jours.

Inscrit dans le courant shomingeki, cette chronique douce-amère s’intéresse à la classe modeste des faubourgs de Tokyo. Des enfants orphelins sont livrés à eux-mêmes, et un petit garçon s’invite dans la vie de Tane : par un tirage au sort organisé par les habitants du quartier, c’est elle qui est désignée pour l’accueillir. Elle cherchera à s’en débarrasser, ne souhaitant en aucun cas s’occuper de ce gamin mutique. L’époque est à l’égoïsme ; le film, tout à la fois cynique et poétique, n’enjolive pas cette relation forcée. Mais encore une fois, c’est le sort qui décide et Ozu décrit à la fois deux naissances, celle d’un attachement, et celle d’une famille nouvelle (la séquence chez le photographe est, à ce titre, très belle). En creux, le délitement de la famille institutionnelle.

Ozu tourne majoritairement en studio. La ville a été bombardée et le quartier de Shitamachi, que le cinéaste a beaucoup filmé, est détruit. C’est donc la toile de fond de Récit d’un propriétaire, son contexte social, mais pas son sujet. On reprochera à Ozu d’avoir éludé la guerre. « Tokyo devrait être en ruine mais tout apparaît bien ordonné : les maisons, les arbres et les poteaux électriques calcinés le long des rues sont disposés à l'écran en une composition harmonieuse, comme une sorte de fatalité qui nous le fait apparaître comme un paysage irréel, une utopie improbable loin de la réalité. […] En présentant la guerre comme une fiction, ce film dévoile son anticonformisme et peut être qualifié d'antiréaliste. Mais, ça, le public de son temps, tenaillé par la faim et rongé par l'angoisse quotidienne, ne pouvait le comprendre. Récit d'un propriétaire fut critiqué à sa sortie comme étant le comble de l'anachronisme. Ozu n'avait pourtant pas l'intention de tourner son époque en dérision. […]. Ozu avait découvert le chaos du monde dans l'objectif de la caméra et il cherchait à en retrouver l'harmonie. […] Ozu n'était pas anachronique. C'était un homme vivant dans la solitude de ceux qui se dressent contre leur époque. » (Kijû Yoshida, Ozu ou l’anti-cinéma, Institut Lumière / Actes Sud, 2004)