Copie conforme

L'art de Louis Jouvet

Gabriel Dupon (Louis Jouvet), modeste représentant de boutons, est arrêté par la police et accusé à tort de vols et cambriolages. Faute de preuves, il est relâché, mais son voisinage le regarde désormais d’un œil méfiant, et son employeur le congédie. Las, il décide d’en finir. C’est alors que débarque Manuel Ismora (Louis Jouvet), maître photographe, sosie parfait de Dupon : le véritable coupable compte bien tirer profit de cette fabuleuse ressemblance.

Copie conforme est la rencontre de deux professionnels, Louis Jouvet et Jean Dréville. Lorsqu’à dix jours du début du tournage, le cinéaste rencontre pour la première fois le comédien au théâtre de l’Athénée, ce dernier pose le décor : « Vous êtes metteur en scène, je suis metteur en scène… Vous me direz ce que vous voulez et je le fais ! » Aucun accroc sur le tournage de ce film dédié à la figure du sosie.

Classique au cinéma, ce thème offre aux scénaristes et cinéastes un champ très large pour exploiter la palette de jeu d’un comédien. Le thème du double a rarement été traité avec autant d’habileté, Jouvet glissant des habits du modeste citoyen à ceux du cambrioleur de génie – qui lui-même endosse plusieurs rôles au gré de ses forfaits. Fait rare pour l’époque, les deux personnages de Jouvet se retrouvent ensemble à l’écran, grâce à quelques astuces techniques, une mise en scène au cordeau et un scénario ingénieux.

Après le monument qu’était Un revenant, la presse s’attendait de nouveau à un « festival Jouvet / Jeanson », le scénariste du film de Christian-Jaque signant ici les dialogues. Ce sera plutôt un « festival Jouvet », performance d’acteur pour certains, démonstration pour d’autres. René Barjavel, bien que soulignant le talent du comédien, alimente l’éternel débat cinéma vs. théâtre : « Jouvet étincelant d’intelligence, de malice, maître d’un extraordinaire métier de comédien, passe d’un rôle à l’autre avec maestria. […] Jouant son propre sosie, il doit se montrer absolument différent de lui-même sans cesser de se ressembler. Il y parvient avec une extrême habileté. Et nous sommes tellement saisis par ce tour de force que, admirant Jouvet, nous en oublions et les personnages et l’histoire. C’est du beau travail. C’est le contraire du cinéma. Le véritable acteur de cinéma, ce n’est pas ce prince de théâtre nous laissant avec nonchalance admirer toutes ses possibilités, deviner sa technique, détailler ses grimaces, ses gestes, ses intonations, ses raclements de gorge. […] Je ne connais pas Jouvet, mais je suis certain qu’il n’aime guère quitter son beau royaume pour venir piétiner devant la caméra… » (L’Écran français, 15 avril 1947)

Depuis, avec plus de trente rôles en vingt ans, Jouvet aura trouvé au cinéma – sans quitter son royaume des planches – un nouveau fief, et des rôles entrés dans l’Histoire du cinéma.