Jaguar

Lumière Classics & Nouvelles restaurations : Trésors et curiosités

Poldo Miranda, surnommé Jaguar (Philip Salvador), est un jeune homme pauvre qui rêve d’un avenir meilleur. Il devient le garde du corps de Sonny Gaston (Menggie Cobarrubias), riche chef de gang. Servile, Poldo cherche à s’attirer les bonnes grâces de son patron. Les ennuis commencent lorsque Sonny séduit la petite amie de son rival Direk (Johnny Delgado). 

Né en 1939, Lino Brocka se forme d’abord au théâtre, où il monte des pièces de Jean-Paul Sartre et Tennessee Williams. À partir des années 70, il tourne des films à petit budget et s’affirme vite comme un réalisateur populaire du cinéma philippin. Afin d’échapper aux normes commerciales, il fonde en 1974 la compagnie de production Cinémanila. Malgré la forte censure exercée par le régime dictatorial de Ferdinand Marcos, il réussit à imposer un regard aiguisé sur la réalité de son pays. Retenu à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 1978, Insiang le fait connaître à l’étranger. Jaguar aura les honneurs de la Sélection officielle en 1980. 

Fervent admirateur des films noirs américains, Brocka se coule dans le genre pour mieux faire passer sa critique sociale. Jaguar met en scène le fossé qui sépare les classes dominantes des plus déshérités. Venant des taudis, le héros du film espère améliorer sa condition en intégrant un monde qui le méprise. D’abord soumis aux ordres de son employeur, Poldo finit par se rebeller face à l’injustice qu’il subit. En racontant son itinéraire, Brocka souhaite éveiller la conscience des spectateurs. Pour obtenir la permission de tourner ce scénario, le cinéaste doit ruser face aux autorités. « Je leur ai dit que le film montrait que le crime ne paie pas, qu’il conseillait aux gens de ne pas rêver, de ne pas être ambitieux, de ne pas sortir de leur milieu social, et que c’était parfaitement en accord avec les préceptes de la première dame des Philippines, madame Marcos, qui dit toujours que si on cherche on trouve autour de soi l’amour et la compassion. Cela leur a suffi. » (Lino Brocka, Positif n°231, juin 1980)    

Du bidonville de Tondo aux discothèques de Manille, Brocka restitue avec une intensité peu commune deux univers que tout oppose. Animé d’une colère intense, Jaguar culmine dans une séquence mémorable, tournée dans une décharge publique enfumée.