Juste la fin du monde

Invité d’honneur : Xavier Dolan

Après douze ans d’absence, un écrivain, Louis (Gaspard Ulliel), retourne dans son village natal pour annoncer à sa famille sa mort prochaine.

Il aura fallu environ quatre ans à Xavier Dolan pour faire sienne la pièce Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce, que lui a fait découvrir Anne Dorval. Un temps indispensable pour comprendre et accepter le texte. « Je comprenais enfin les mots, les émotions, les silences, les hésitations, la nervosité, les imperfections troublantes des personnages. » (Xavier Dolan) Il décide alors de porter la pièce au cinéma, de transcrire la langue le plus fidèlement possible, puisque « l’édulcorer aurait été banaliser Lagarce ». Le réalisateur assume la dramaturgie théâtrale en filmant un quasi huis clos, aux dialogues incessants, vifs, parfois violents. 

Juste la fin du monde s’inscrit, sans le dire, dans une époque : celle où, comme Lagarce, on meurt très jeune du sida (il signa sa pièce cinq ans avant son décès). Le retour du fils prodige déclenche un flot d’émotions, dites mais aussi tues, les querelles et rancœurs refont surface. Les retrouvailles sont gênées : tous sont incapables de dire le manque et l’amour sans dire le reproche ; tous sont seuls parmi les autres. 

Cette solitude collective, Xavier Dolan la filme intensément en très gros plans sur les visages des comédiens, l’émotion à fleur de peau. Des échanges de regards, sublimes, mais en champs-contrechamps, chacun dans son espace, tous dans l’incommunicabilité. 

Au milieu du tumulte, il y a Louis, interprété par Gaspard Ulliel. Il est presque mutique, aux antipodes de sa famille qui ne fonctionne que par invectives. Il est éloigné d’eux, un éloignement géographique mais aussi de classe, lui désormais auteur loin d’ici. « Juste la fin du monde fait le portrait d’une justesse coupante d’un transfuge social, la solitude afférente, le sentiment de honte qu’induit de façon plus forte que toutes les autres cette différence-là. Gaspard Ulliel oppose à l’overacting de ses partenaires […] une douleur rentrée, un sourire triste, un être-au-monde empêché absolument bouleversants. En retrait comme un narrateur proustien, fragilisé comme un Swann en fin de vie […], il réduit son jeu à une pure instance perceptive, à la fois éloigné et atteint, impuissant à produire autre chose que du reproche involontaire. » (Jean-Marc Lalanne, Les Inrockuptibles, 21 septembre 2016)