1941, au cœur des Carpates roumaines. Une unité de soldats nazis prend possession d’une mystérieuse forteresse isolée, malgré les avertissements du gardien local. Bientôt, des morts inexplicables frappent les occupants, révélant la présence d’une entité maléfique scellée dans les murs du sombre édifice.
Quand on évoque La Forteresse noire, on évoque en premier lieu la légende. Celle d’une œuvre maudite, d’un grand film malade. Michael Mann, adaptant lui-même le best-seller de Francis Paul Wilson, confesse ne pas vraiment l’aimer, mais est convaincu de son potentiel : il veut en faire « un conte de fées pour adultes ». Le conte de fées vire au cauchemar dès le tournage. Afin de reconstituer la façade de la forteresse et le village roumain, l’équipe investit une ancienne carrière d’ardoise du Pays de Galles. Bientôt les décors sont ravagés par une météo apocalyptique, des pluies torrentielles entrecoupées de bourrasques infernales. Le tournage s’éternise. Puis Wally Veevers, maître britannique des effets visuels, décède au début de la post-production : les équipes se retrouvent face à de nombreux plans filmés sur fond noir, mais ne parviennent pas, sans l’expertise de Veevers, à les utiliser. Enfin, Paramount remanie à plusieurs reprises le film, refusant à Michael Mann le director’s cut. Les 3h30 initiales deviennent 2h, puis un peu plus d’1h30… Le film est boudé par la critique et le public.
Plus de quarante ans plus tard, c’est à l’aune de la carrière de son auteur que l’on regarde cet opus de Michael Mann, et on y décèle les prémices d’une œuvre à venir. Le cinéaste confiait en 1996 : « Je voulais faire un film sur les origines psychologiques du fascisme, sa nature et l’attrait qu’il peut exercer sur certaines personnes ». (Les Inrockuptibles, février 1996) Dans cette fable métaphysique où une mystérieuse entité démoniaque confronte une troupe de S.S., le pouvoir évocateur de l’histoire est plus efficace qu’un discours didactique. La figure maléfique, comme allégorie des ténèbres de la psyché humaine, est portée par un personnage dessiné et conçu par Enki Bilal, évoluant dans un univers qui n’est pas sans rappeler celui d’H.P. Lovecraft.
Après le thriller noir Le Solitaire, Michael Mann opère un virage complet, transcendant les conventions du film fantastique pour signer une réflexion sur le Mal. Servi par les décors monumentaux et claustrophobiques de John Box, la photo aux accents expressionnistes allemands d’Alex Thomson, baignant dans un bleu froid percé de faisceaux lumineux, et les pulsations rythmiques de Tangerine Dream – groupe d’électro allemand fondé en 1967 par Edgar Froese –, La Forteresse noire est un film fascinant et sensoriel, laboratoire d’expérimentations esthétiques, tant visuelles que sonores.
« Il y a quelque chose de mystérieux dans ce film cabossé, comme une question laissée en suspens qui stimule l’imagination. La Forteresse noire appartient à cette race de films rares qui tirent de leurs défauts et des dérives de leur tournage une puissance inexplicable. Et il était probablement fatal, peut-être même souhaitable que Mann souffre sur ce tournage et s’égare dans les labyrinthes de la forteresse pour en sortir plus sensible, plus structuré, plus alerte, en un mot plus puissant. » (Julien Dupuy, in Michael Mann – Horizon bleu, Collectif, Rockyrama, 2023)
La Forteresse noire (The Keep)
Royaume-Uni, États-Unis, 1983, 1h36, couleurs, format 2.35
Réalisation & scénario Michael Mann, d’après le roman Le Donjon / La Forteresse noire de Francis Paul Wilson
Photo Alex Thomson
Musique Tangerine Dream
Montage Dov Hoenig
Décors John Box
Costumes Anthony Mendleson
Conception de Molasar Enki Bilal
Production Gene Kirkwood, Howard W. Koch Jr., Paramount
Interprètes Scott Glenn (Glaeken Trimegestus), Alberta Watson (Eva Cuza), Jürgen Prochnow (le capitaine Woermann), Robert Prosky (le père Fonescu), Gabriel Byrne (l’officier S.S. Kaempffer), Ian McKellen (le docteur Theodore Cuza), Morgan Sheppard (Alexandru, le gardien de la forteresse), Royston Tickner (Tomescu, l’aubergiste), Michael Carter (Radu Molasar, la force du Mal), Phillip Joseph (le sergent Oster de la Wehrmacht)
Sortie aux États-Unis 16 décembre 1983
Sortie au Royaume-Uni 16 février 1984
Sortie en France 2 mai 1984
Nouvelle restauration 4K ressortie en salle cette année par Carlotta Films.
Remerciements au distributeur Carlotta Films
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