Le Sixième Sens

Michael Mann : Prix Lumière 2025

Will Graham (William Petersen) était un criminologue de génie au sein du FBI. Spécialisé dans le profilage des criminels et guidé par un instinct exceptionnel, il se plongeait, à chaque enquête, dans la psyché de l’assassin. Durement marqué par ses récents dossiers, il avait décidé de quitter la police. Trois ans plus tard, un de ses anciens collègues, Crawford (Dennis Farina), fait appel à lui : deux familles ont été sauvagement massacrées, à un mois d’intervalle, un soir de pleine lune.

En 1981, l’Américain Thomas Harris publie Dragon rouge, roman où apparait pour la première fois la figure monstrueuse d’Hannibal Lecter, bientôt mondialement connu sous les traits d’Anthony Hopkins. Le producteur Dino de Laurentiis en confie l’adaptation à Michael Mann qui signe Le Sixième Sens, thriller vertigineux, fondamentalement mental.

Graham est un enquêteur en rupture : sa capacité à se mettre dans la peau des assassins, à pénétrer leurs émotions, leurs rêves et leurs fantasmes, a failli le faire basculer dans la folie lors de la traque du tueur en série Hannibal Lecktor (Mann choisira de modifier le nom original). Il revient aux affaires, davantage par fascination pour le Mal que par sens du devoir, et la confrontation avec Lecktor, psychopathe incarcéré, s’annonce incontournable pour réveiller son instinct de chasseur, réactiver ses sens et capturer le « tueur de la pleine lune ». Michael Mann interroge les questions du double et de la psyché : Graham, policier, est stimulé, excité, par la proximité du Mal. Le titre original du film, Manhunter, littéralement « chasseur d’homme », souligne l’ambivalence des rôles, et le jeu de miroir entre les poursuivis et les poursuivants, victimes, meurtriers ou policiers.

Pour cette plongée dans les bas-fonds de l’âme humaine, Michael Mann poursuit son exploration d’un certain formalisme. Il signe un film ancré dans son époque, le milieu des années 80 et le déferlement de la vidéo et du clip. Usage des répétitions et des ralentis, le cinéaste joue avec la vitesse pour souligner l’intensité rythmique de l’action. Baroque, voire opératique, Le Sixième Sens s’éloigne du réalisme pour styliser l’enfermement moderne.

On parlera beaucoup de l’usage des couleurs dans l’œuvre de Michael Mann, de ce bleu magnétique ou de ces verts angoissants. Ici, il y a la « non couleur » par définition, le blanc lumineux, cru, malade. « Mann filme la traque en plongeant Graham dans une sorte d’horreur diurne faisant du jour éclatant son tombeau […]. C’est le blanc de la cellule d’Hannibal Lecktor, interrogé au cours de l’enquête, qui donne à la scène sa puissance de terreur vertigineuse et pousse Graham à l’évanouissement. » (Vincent Malausa, Cahiers du cinéma n°769, octobre 2020)