Mommy

Invité d’honneur : Xavier Dolan

Dans la banlieue de Montréal, Diane (Anne Dorval), veuve d’une quarantaine d’années, récupère son fils Steve (Antoine Olivier Pilon), adolescent, après son exclusion de l’institution où il était suivi pour troubles psychologiques. Le bonheur est de courte durée et les accès de violence récurrents. Lors d’une crise, leur voisine Kyla (Suzanne Clément) fait irruption dans leur vie.

Comment s’aime-t-on au milieu des problèmes ? Déflagration à Cannes, Mommy est un portrait de femmes empli de rage et d’amour. Dans une banlieue comme beaucoup d’autres, Diane, pourtant dotée d’un solide instinct de survie, est désemparée, se débattant avec Steve, son fils incapable de gérer ses émotions, passant de l’amour fou à une violence sans limite. Ces deux cabossés en rencontrent une troisième, Kyla, enseignante, le cœur au bord des lèvres, promue élément stabilisateur. Le duo devient trio à géométrie variable.

Xavier Dolan revient à la figure maternelle en révolte, déjà abordée dans ses premiers films. Il dit vouloir, par ses films, « venger ses proches », et ici sa propre mère. Il construit de grands rôles physiques pour ses acteurs et particulièrement pour ses actrices – époustouflantes Anne Dorval et Suzanne Clément. Jamais il ne prend ses personnages de haut, il les connaît, ils étaient ses voisins d’enfance.

Le cinéaste travaille tous les détails. Sa mise en scène est excessive pour certains, d’une liberté absolue pour d’autres. Il oscille entre les images quotidiennes et des éclairs de lyrisme, des flashs qui viennent rompre le rythme haletant. Le son est un élément clé dans l’œuvre de Xavier Dolan. Objet pop, Mommy soigne sa BO, comme si les personnages avaient eux-mêmes choisi la playlist, menant à cette scène bouleversante sur un titre de Céline Dion. Le langage est aussi crucial, opposant le joual, français-canadien populaire au débit de mitraillette, à un bégaiement incertain. Esthète, le cinéaste travaille son image, ses couleurs, mais aussi son cadre. Se concentrant sur l’humain et le format originel du portrait, il choisit le ratio 1.1, emprisonnant le spectateur dans un format carré. Et soudainement, comme des respirations fugaces, il le libère et élargit le champ.

Mommy bouscule, émeut, laisse intranquille. « J'ai parlé à beaucoup de gens, ils n'emportent pas avec eux la tragédie, ils emportent les moments de bonheur. Ils me parlent de Steve qui fait du longboard, ils me parlent de Céline Dion, Céline Dion, Céline Dion... Des moments de lumière et d'espoir. Pourtant j'essaie de ne pas tromper les gens en prétendant que le film est un jardin de roses. Mais ils emmènent un souvenir plus léger avec eux. C'est pour cela que j'ai mis ce carton au début du film annonçant la tragédie à venir, et pas pour plomber l'atmosphère. C'est pour qu'il y ait une épée de Damoclès sur les personnages: on sait que ça va arriver alors autant bien profiter de la vie avant que ça arrive. Et comme on ne sait pas quand ça arrive, on peut profiter de chaque moment comme si c'était le dernier moment heureux qu'on allait vivre. » (Xavier Dolan, Cahiers du cinéma n°704, octobre 2014)