Rocco et ses frères

Grands classiques du noir et blanc

Fuyant la misère du Sud de l’Italie, Rosaria Parondi (Katina Paxinou), veuve au caractère bien trempé, vient s’installer avec ses cinq fils à Milan, dans le sous-sol d’une habitation bon marché. La famille déracinée et abaissée a du mal à rester unie. La situation s’envenime quand Simone (Renato Salvatori) et Rocco (Alain Delon) s’amourachent de la même prostituée, Nadia (Annie Girardot).

Lorsqu’il termina La terre tremble (La terra trema, 1948) consacré aux pêcheurs de Sicile, Luchino Visconti affirma qu’il en écrirait la suite. Présenté comme tel, Rocco et ses frères est effectivement une grande fresque sociale, urbaine cette fois-ci. Portrait d’une société en état de crise, le film traite de l’Italie de l’émigration et de la différence croissante entre le Sud, agraire et pauvre, et le Nord, en pleine industrialisation.

Mais Rocco et ses frères est également le portrait d’une famille en pleine désagrégation. En cinq chapitres, comme autant de protagonistes, le film dépeint les passions, haines, élans de volonté et dégoûts de ces déracinés. La condition humaine est ici aussi dure qu’exaltante.

Avec cette œuvre inaltérable, Visconti livre un film à la sombre beauté, forte et violente, un noir & blanc inoubliable, et excelle dans sa direction d’acteurs, l’interprétation y est éclatante et emplie d’humanité – sans doute un des plus beaux rôles de Delon. Un film également raffiné bien que naturaliste.

À la sortie de Rocco et ses frères, le critique Roger Tailleur affirme : « Visconti prouve que chacune de ses œuvres précédentes n’étaient qu’étapes préparatoires, échelons successifs vers la grande œuvre. Rocco, c’est donc les personnages de La terre tremble plongés dans le monde violent et mélodramatique d’Ossessione, c’est la passion de Senso et sa perfection classique, moins entachée de pictorialisme, mais touchée par endroits par l’esthétisme précieux des Nuits. Rocco est certainement, de tous ses films, le plus théâtral et en même temps le plus direct, le plus implacable. L’apparat de la mise en scène, ce bel canto plastique, cette invention poétique de tous les instants, ne prolifèrent jamais aux dépens du réalisme, du plus noir naturalisme même, mais les rendent plus accablants, plus acérés. » (Les Lettres nouvelles, 1961)