Sailor et Lula

Moments de l’histoire du cinéma : Souvenir de David Lynch

Sailor Ripley (Nicolas Cage), 23 ans, tout juste libéré de prison, et Lula Pace Fortune (Laura Dern), 20 ans, doivent échapper à la mère de la jeune femme, Marietta (Diane Ladd), qui s'oppose à leur amour. L'ami de Marietta, le détective privé Johnnie Farragut (Harry Dean Stanton), est lancé à leurs trousses.

Lorsque Sailor et Lula est récompensé de la Palme d’or au Festival de Cannes en 1990, c’est un mélange confus d’applaudissements et de huées qui accueille l’annonce. Le cinquième long métrage de l’Américain David Lynch divise. Adaptant le roman noir Wild at Heart: The Story of Sailor and Lula de Barry Gifford, le cinéaste écrit son scénario en moins d’un mois, porté par la fulgurance de ce qu’il nommera « une histoire d’amour en enfer ». On reproche au film la violence exacerbée de certaines scènes. Pour Lynch, le film voit le jour dans un monde qui « empire » et porte les stigmates du chaos de la fin des années 80.

À mille lieues de la production américaine d’alors, Sailor et Lula fusionne les genres : road movie, film noir, western pyromane, conte de fées infernal, sorte de Magicien d’Oz cauchemardesque… Film intense, il fait ressentir viscéralement l’horreur des relations humaines et familiales. Comme toujours dans l’univers de Lynch, la galerie de personnages est étrange, parfois effrayante, et toujours de passage : ceux-ci disparaissent, laissant en suspens leur histoire, sans explication. Le parcours des jeunes amoureux est un labyrinthe, ponctué d’évènements tortueux. Lynch force le trait. Pour autant, pour le cinéaste, « c’est un monde tout de même réaliste, mais éloigné de notre monde à nous. » (Positif n°356, octobre 1990)

Œuvre à l’énergie furieuse, film particulièrement sonore et sensitif, Sailor et Lula est surtout un hymne à l’amour fou, celui de deux cœurs purs. L’histoire d’une passion, comme un absolu qui se consume de toutes parts. « Mis à feu par l'extrême violence du geste de Sailor anéantissant le premier assassin que Marietta a lancé contre lui, le film est saturé d'emblée du désir absolu que les deux amants éprouvent l'un pour l'autre et qui les définit entièrement. Et cela suffit à porter cette épopée romantique qui lorgne du côté de Sternberg et de Vigo par la dimension surhumaine des sentiments très humains qu'il met en jeu, et par la confiance absolue dans les formes cinématographiques pour assumer et rendre vivant cet absolu. […] Parce que l'histoire de Sailor et Lula tient en une ligne, le film en est comme l'épure, ou le manifeste, brûlant d'une flamme droite et claire. » (Jean-Michel Frodon)